Gravitation sur la Lune

Deux Nobel à Liège

Cette réunion de très haut niveau scientifique rassemble une centaine d’experts mondiaux.
L’Institut d’Astrophysique de l’Université de Liège organise cette année son 29ème Colloque International d’Astrophysique. Ce colloque, co-parrainé par l’Agence Spatiale Européenne (ESA), se tient jusqu’au 5 juillet à l’Observatoire de Cointe. Le Comité organisateur comprend Jean-Pierre Swings, Rodolphe Zander, Denise Fraipont (Institut d’Astrophysique de Liège) et Serge Volonté de l’ESA. Dans nos éditions de ce mardi 3 juillet, sous le titre “Embryologie stellaire”, nous avons tenté d’expliquer quelque peu l’importance du thème traité, dans son approche et dans ses perspectives.

Rappelons qu’il aborde l’astronomie dite “sub-millimétrique”. Le domaine couvrant l’infrarouge lointain et la région sub-millimétrique constitue, en effet, la dernière fenêtre encore non explorée du spectre électromagnétique. En effet, l’absorption par l’atmosphère terrestre, la difficulté de produire des détecteurs sensibles, et l’émission thermique importante des récepteurs sensibles, et l’émission thermique importante des récepteurs et des éléments optiques ont, jusqu’à présent, maintenu cette fenêtre quasi opaque.

Il est facile de se rendre compte de l’importance de cette recherche, quand on sait déjà que notre connaissance de l’Univers vient presque exclusivement de l’étude du rayonnement électromagnétique émis aussi bien par la matière condensée (étoiles) que par la manière diffuse des espaces interstellaires.

De plus, le domaine spectral de l’infrarouge lointain et sub-millimétrique englobe de nombreux phénomène physiques et chimiques qui permettent d’explorer l’Univers à basse température. Il est donc particulièrement riche.

Enfin, et ce n’est pas la moindre des raison, il devrait permettre aux astrophysiciens de “regarder” et de comprendre l’évolution embryologique des étoiles et donc de mieux comprendre aussi la genèse de notre Système solaire.

Ce 29ème Colloque international liégeois réunit une centaine d’experts internationaux et des représentants des grandes agences spatiales. Parmi eux, fait unique dans les annales liégeoises, on trouve deux prix Nobel de physique: le Professeur Charles Townes et le Docteur Robert Wilson. La séance d’ouverture du colloque s’est tenue mardi matin en présence du Vice-Recteur Willy Legros, et du Professeur Jacques Collin, Doyen de la Faculté des Sciences.

Nous soulignerons également la présence du Professeur Roger Bonnet, Directeur du Programme scientifique de l’Agence Spatiale Européenne. Le Professeur Bonnet est également associé au programme à long terme “Space Science: Horizon 2.000” qui définit les grandes orientations du programme scientifique de l’ESA jusqu’au tournant du XXIème siècle.

Le Professeur Bonnet est venu donner une conférence sur ce sujet, il y a tout juste un an, invité par le Centre Spatial de Liège (ex IAL SPACE) de notre Alma Mater, à l’occasion des trente ans de recherches spatiales à Liège. (“La Wallonie” du lundi 3 juillet 1989).

Le monde doit au Professeur Charles Townes (Département of Physics, University of California, Berkeley, USA) la découverte, de l’effet maser pour laquelle il a obtenu le prix Nobel de Physique en 1964.

“MASER” est l’abréviation de la définition anglaise: Microware Amplification by Stimulated Emission of Radiation (amplification de micro-ondes par émission de rayonnement stimulé). Le Maser est l’analogue du Laser (amplification de lumière) pour les ondes radios. Le premier fut réalisé par Charles Hard Townes dès 1954, soit 6 ans avant le Laser.

Placé dans une cavité électromagnétique, le Maser entretient l’auto-oscillation d’une fréquence propre de la cavité. On les utilise, par exemple, comme oscillateurs électroniques de très grande stabilité fréquentielle pour servir de référence dans les horloges atomiques. Les erreurs sont de l’ordre de 10-³ (0,001) seconde en 30 ans. Une autre application des Maser est la réalisation d’amplificateurs à très faible bruit fonctionnant à la température de l’hélium liquide, d’où leur intérêt dans l’exploration de l’infrarouge lointain. Charles Townes préside le présent colloque liégeois.

La théorie de l’expansion de l’Univers a, peut-on dire en restant dans les généralités, trois pierres angulaires. La première est théorique. Unissant l’espace avec le temps, Albert Einstein l’a proposée dès 1915 avec sa théorie sur la relativité générale.

les deux autres sont d’ordre observationnel. L’astronome américain Edwin Hubble découvrit, en 1929, que la vitesse de recession des galaxies (éloignement mutuel) était d’autant plus grande que les galaxies étaient éloignées. Ainsi, selon la loi qui, depuis, porte son nom, la vitesse de fuite des galaxies est proportionnelle à leur distance. Cette loi est considérée comme la preuve la plus convaincante de l’expansion de l’Univers.

La seconde observation est celle qui a conduit à la découverte de l’existence, jusqu’alors supposée, du rayonnement fossile isotrope qui baigne l’Univers. Ce rayonnement micro-onde fut capté aux longueurs d’onde d’environ 1 mm et identifié pour la première fois, en 1964, par deux jeunes radioastronomes américains Arno Penzias et Robert Wilson.

Tous deux travaillaient dans les laboratoires de la Bell Telephone à Holmdel (New Jersey, USA) au développement d’un détecteur d’une très grande sensibilité pour capter les signaux de Telstar, le premier satellite de communication.

Appelé aussi “bruit du fond du ciel”, ce rayonnement thermique diffus du fond du ciel à 2,72° Kelvin (-270° C) conforte la théorie de l’expansion primordiale du “Big bang” dont il est le rayonnement fossile. Il est aussi compatible avec les modèles mathématiques qui situent l’âge de l’Univers entre 10 et 20 milliards d’années.

Ce rayonnement fossile permet de “remonter” le temps pour étudier et tenter de mieux connaître le rapport matière-rayonnement qui joua un rôle déterminant dans les premières minutes de l’histoire de l’Univers que nous connaissons. Pour cette découverte, A. Penzias et R. Wilson reçurent le prix Nobel de Physique en 1978. R. Wilson est le second récipiendaire du Nobel, grâce à l’Institut d’Astrophysique, à nous faire l’honneur de sa présence.

L’énigme perdue de M87

Voici les premières images des jets (jet et contre-jet) dans la galaxie géante M87. Elles ont été obtenues au télescope optique NOT (Nordic Optical Telescope) de 2,5 m à La Palma, aux Iles Canaries, dans des conditions presque parfaites. Elles ont été réalisées en fausses couleurs de façon à augmenter le contraste des structures. La photo du dessus est une image combinée, obtenue par la superposition de trois clichés CCD
(jaune, rouge et infrarouge) et après supression de l’arrière-plan de la galaxie. Le jet principal que l’on connaît depuis longtemps est la partie bien visible qui s’étend vers la droite de l’image. La petite structure en forme d’arc, découverte récemment, représente la fin du contre-jet, à l’extrême gauche de l’image. Il est indiqué par la flèche verticale. Dans l’image inférieure trait¢ée par ordinateur, on voit le jet principal avec une meilleure qualité de résolution (netteté). Les nœuds individuels sont bien visibles le long du jet, lequel représente la trajectoire des particules énergétiques émises par le noyau galactique qui apparaît ici comme une source ponctuelle à l’extrême gauche. C’est l’image de M87 la plus nette jamais obtenue au sol dans le domaine optique. (© European Southern Observatory)
La constellation de la Vierge, entre le Lion et la Balance, est aussi connue
pour renfermer un très important et très proche amas de galaxies :
l’amas Virgo, au sud de la Chevelure de Bérénice, autre constellation boréale
et autre amas de galaxies. Situé à une distance de 15 millions de parsecs
(le parsec équivaut à 3,26 années de lumière), cet amas occupe le centre
du Superamas local (amas d’amas de galaxies), ensemble d’une cinquantaine
de groupes de galaxies. Notre Galaxie, la Voie Lactée, appartient
avec Andromède (M31), les Nuages de Magellan, au groupe local
qui comprend 27 galaxies.
L’amas Virgo est un amas irrégulier, sans concentration centrale marquée,
qui rassemble plusieurs milliers de galaxies de tous les types morphologiques.
La galaxie Messier 87 (M87 ou NGC4486) est la plus brillante
et certainement la plus massive d’entre elles. Il s’agit d’une galaxie
elliptique géante contenant d’importantes quantités de gaz interstellaire.
L’intérêt qu’elle suscite chez les astrophysiciens ne date pas d’aujourd’hui.
Elle commence à dévoiler ses mystères.
Dès 1918, Heber Curtis, de l’Observatoire Lick en Californie, avait découvert, partant du cœur de la cette galaxie, un fin jet lumineux, rectiligne, s’étendant vers l’ouest à plus de 5.000 années de lumière. (1)

Par la suite, M87 fut identifiée à une radiosource intense, Virgo A, l’une des plus puissantes connues. (Notons que la radioastronomie est la branche de l’astronomie qui étudie le rayonnement électromagnétique des objets célestes dans le domaine des ondes radioélectriques). Fait remarquable, les dernières images du jet de la galaxie prises dans le domaine radio, à l’Observatoire national de Radioastronomie (NRAO) en Virginie, et, il y a peu, dans le domaine optique, par le Hubble Space Telescope, sont quasiment identiques. Une cartographie détaillée laissa apparaître une extrême similitude dans les structures des émissions optiques et radio, preuve d’une origine commune de ces différentes émissions.

On peut rappeler qu’à l’heure actuelle, la grande majorité des milliers de radiosources extragalactiques détectées n’ont pu encore être identifiées optiquement. La recherche d’une contrepartie visible est un travail difficile car il exige une très grande précision sur la position de la radiosource et les observations optiques sont à la limite de la sensibilité des détecteurs actuels.

Une dépêche de l’AFP devait nous le préciser : le centre de Virgo, source très brillante d’ondes radio, coïncide avec le noyau très brillant de la galaxie enregistré dans le visible, au centre d’un halo d’étoiles de plus en plus dense et brillant, au fur et à mesure que l’on se rapproche du noyau. A l’évidence, selon des astronomes réunis récemment par la Société américaine d’Astronomie (AAS), à Atlanta, le cœur de M87 est un trou noir massif.

Il fait rappeler que cette hypothèse avait djà été émise par Peter Young qui avait prédit que la densité stellaire dans une galaxie ordinaire devrait croître de la périphérie au centre, mais jusqu’à un certain point. En revanche, lorsque la galaxie abrite un trou noir massif en son centre, celui-ci devrait aspirer les étoiles en un flot continu, atteignant un pic de densité dans son voisinage.

C’est précisément, remarque la dépêche, ce que l’on constate sur les images prises par le Hubble Space Telescope. Selon Todd Lauer et ses collègues des Observatoires nationaux d’Astronomie optique (NOAO, Arizona), la densité des étoiles près du noyau de M87 est 500 fois plus élevée que celle attendue pour une galaxie normale, ce qui confère au trou noir une masse 2,6 milliards de fois supérieure à celle du Soleil.

Reste, selon l’astronome, à confirmer cette découverte. La meilleure preuve devrait être apportée par l’analyse spectrale, analyse qui devrait montrer le mouvement des étoiles vers le centre de la galaxie.

Par ailleurs, le jet brillant dans M87, jet qui apparaît comme un trait (continuum), témoigne d’un phénomène violent de type nucléaire dans le noyau galactique. Nombreux sont les astronomes qui, pour cette raison, l’associent aussi à un trou noir géant. C’est dans cette direction que sont allées les recherches de trois astronomes de l’ESO (Organisation Europ¢enne pour des Recherches Astronomiques dans l’Hémisphère Austral) : Palle Møller, Massimo Stiavelli et Werner Zeilinger. (2)

Une découverte européenne
Ces scientifiques européens viennent d’annoncer la découverte, grâce au télescope optique (NOT) des Canaries, d’un second trait lumineux, en forme d’arc, à l’est du noyau galactique de M87, c’est-à-dire, à l’opposé du seul jet connu jusqu’ici. Pour ces astronomes, cet arc lumineux se trouve à 6.000 années de lumière et est dû au même processus physique que celui qui est responsable de l’émission radio de la galaxie : un rayonnement synchrotron.

La galaxie M87 est bien une source émettrice d’une radiation par émission synchrotron (rayonnement électromagnétique émis par des électrons en mouvement dans un champ magnétique) à l’origine de l’émission radioélectrique, produite par des particules de rayons cosmiques de grande énergie tournant en spirale le long des champs magnétiques de la galaxie, particules sans doute émises par des réactions nucléaires centrales. Les observations indiquent également la présence d’un milieu diffus émettant des ondes radio et englobant la quasi totalité de la galaxie.

Cependant, contrairement à la plupart des autres galaxies radio, on n’avait jusqu’à présent aucune indication de l’existence d’un contre-jet dans la direction opposée, c’est-à-dire vers l’est. Ceci pouvait laisser supposer que M87 était un cas assez particulier et peut-être même très différent des autres galaxies radio à jets. M87 avait son mystère et posait une énigme.

Grâce aux travaux des astronomes de l’ESO, l’énigme a sa solution. Ils ont utilisé le Nordic Optical Telescope (NOT) installé sur l’île de La Palma aux Canaries, pour observer la galaxie M87 dans les meilleures conditions possibles. Grâce aussi à l’excellente qualité optique de cet instrument, il a été possible d’obtenir, pour la toute première fois, des images optiques qui font apparaître clairement la présence d’un contre-jet et ôtent, par la même occasion, l’aspect particulièrement exceptionnel que revêtait cette galaxie.

C’est l’occasion de rappeler encore quelques notions d’astronomie, de manière à bien situer notre propos.

La radiogalaxie géante M87
Dès qu’elle fut photographiée dans le visible, la galaxie M87 apparut comme étant une des galaxies elliptiques les plus brillantes. Elle émet également de façon intense en fréquence radio et, à ce titre, répétons-le, elle est connue sous le nom de Virgo A, l’une des sources radio les plus puissantes enregistrées à ce jour.

M87 est environ dix fois plus brillante que notre Galaxie et contient plus de mille milliards d’étoiles semblables à notre Soleil.

Les astronomes ont convenu de diviser les radiogalaxies en deux classes, selon l’intensité radio et selon le degré de symétrie de l’émission radio. Le type I comprend des objets moins puissants et moins symétriques que ceux repris dans le type II.

Jusqu’à aujourd’hui, M87 était classée comme faisant partie du type I, essentiellement à cause de la position asymétrique de son seul jet s’étendant à 6.000 années de lumière à l’est du centre galactique.

Maintenant, on est presque certain que toutes les radiogalaxies brillantes et symétriques de type II comportent deux jets diamétralement opposés, constitués de particules très fortement énergétiques, des électrons pour la plupart, se déplaçant à une vitesse fort proche de celle de la lumière et véhiculant, du centre vers l’extérieur, de grandes quantités d’énergie.

Comme nous l’avons déjà relaté ci-dessus et comme nous le rappelle le “press release” de l’ESO, l’émission radio enregistrée au niveau des jets est le produit d’un mécanisme bien connu dit “synchrotron”, qui fonctionne lorsque de telles particules interagissent avec un champ magnétique puissant.

Généralement, cette émission synchrotron s’observe en ondes radio. Cependant, dans un certain nombre de galaxies de type II, il est possible de l’observer dans le domaine visible, c’est-à-dire, dans des longueurs d’onde optiques.

L’image optique du contre-jet
Comme-nous le précise l’ESO, les observations radio de la galaxie M87 laissent apparaître une émission diffuse de l’autre côté du jet principal. Mais elles ne fournissent pas de preuves évidentes de l’existence d’un contre-jet. Les observations optiques de la première heure ne montraient rien non plus.

Cependant, grâce aux images réellement excellentes obtenues dans des conditions presque parfaites au télescope NOT (voir ci-dessus), les astronomes de l’ESO ont pu maintenant détecter un filament en forme d’arc à l’est du centre de M87, c’est-à-dire, dans la direction opposée du jet principal.

Supposant que la distance de M87 est de 50 millions d’années de lumière, la distance angulaire de l’arc au centre de M87 (environ 24 secondes d’arc) correspond à environ 6.000 années de lumière, ce qui équivaut au quart de la distance du Soleil au centre de la Voie Lactée.

Les nouvelles images de M87 ont été obtenues dans des longueurs d’onde différentes. Il était dès lors possible de mesurer avec précision la couleur de la nébuleuse en forme d’arc. Elle est plutôt rouge et correspond assez bien à ce qui était attendu de la part d’une émission synchrotron. Les astronomes concluent que l’arc brille par le même processus physique que celui qui est responsable de l’émision radio.

Mieux, des images bleues de haute qualité de M87 furent obtenues au télescope ESO/MPI de 2,2 mètres sur le site d’observation de l’ESO à La Silla au Chili. En collaboration avec John Biretta, du NRAO à Socorro (Nouveau-Mexique), ces nouvelles données optiques ont été comparées en détail à des images radio fournies par le VLA (Very Large Array) qui est le très grand réseau radio-interféromètre des Etats-Unis (il comporte 27 antennes paraboloïdales orientables de 26 m de diamètre chacune, mobiles sur des rails et disposées en un immense Y dont les branches est et ouest s’étendent sur 31 km de long et la branche nord sur 19 km).

L’émission optique est observée à l’exacte localisation d’un “point chaud” radio. Leur origine ne peut être que commune.

La nature du contre-jet
Les chercheurs de l’ESO concluent que le contre-jet a la forme d’un cône creux qui part du noyau de la galaxie, dans un nuage de matière interstellaire, au travers duquel le contre-jet a creusé son chemin actuel. Les électrons se meuvent à l’intérieur de ce cône sans émettre beaucoup d’énergie. C’est pour cette raison que la part correspondante du contre-jet n’est pas visible.

Cependant, à l’endroit de la structure en forme d’arc, les électrons s’accumulent et compriment la matière interstellaire, émettant un rayonnement synchrotron visible, de même nature que celui du long jet émis à l’est et seul connu jusqu’à aujourd’hui.

Les images optiques réalisées par l’ESO font la preuve que la galaxie M87 est, en définitive, assez similaire aux radiogalaxies à doubles jets. D’autres études sont nécessaires pour mieux comprendre comment le contre-jet peut transporter la grande quatité d’énergie nécessaire pour justifier l’émission synchrotron observée sur d’aussi grandes distances, sans être détectable.

Avec cette découverte européenne, la galaxie géante M87 pert son énigme et se retrouve mieux en accord avec la théorie cosmologique classique. Elle n’en garde pas moins une certaine aura de mystère. Elle ne nous a pas encore vraiement livré son cœur.


(1) Une année lumière vaut 9.460.000.000.000 km.
(2) Le groupe se constitue de Palle Møller (originaire de l’Université de Copenhagen), Massimo Stiavelli
(de l’Ecole normale supérieure de Pise) Werner W. Zeilinger (originaire de l’Institut astronomique
de l’Université de Vienne et du Département d’Astronomie de l’Université de Padoue).

La “masse manquante” ne manque pas

La galaxie M83 (NGC 5236) dans l’hémisphère austral, une des 9.381 galaxies spirales
étudiées par Andris Lauberts et Edwin Valentijn. Elle contient beaucoup plus de “matière sombre”
que ce qu’on pensait. (© Photo ESO)
Grande énigme cosmologique, cette “masse cachée” désigne la matière invisible
que recèlerait l’Univers. Une étude de l’ESO vient de conclure à son abondance.
L’expression “masse manquante” est presque passée dans le langage courant et d’ailleurs pour être utilisée mal à propos. Par contre, en astrophysique, elle désigne quelque chose de bien précis et qui est même l’une de ses plus grandes énigmes.

De quoi est fait l’Univers ? Quel est le type de matière le plus répandu ? Combien y en a-t-il ? Comment cette matière est-elle répartie ? Ces questions restent centrales en cosmologie.

La masse est la quantité de matière contenue dans un corps matériel, ainsi la masse d’une étoile, ainsi la masse d’une galaxie, ainsi la masse de l’Univers. Quand on parle de “masse cachée” ou de “masse manquante”, on désigne la matière invisible que recèlerait l’Univers et dont l’étude dynamique des galaxies laisse supposer la présence. Il nous faut aujourd’hui admettre qu’une grande partie de la matière contenue dans l’Univers est “sombre”, c’est-à-dire invisible avec les instruments d’observations actuels.

Les données astrophysiques contemporaines laissent penser qu’il se pourrait bien que les neuf dixièmes de la masse de l’Univers échappent aujourd’hui à l’observation. La “masse cachée” serait constituée, au moins en partie et sous plusieurs formes, de “matière noire”. Celle-ci se répartirait à l’intérieur et autour des galaxies.

Ces questions relatives à la “masse manquante” sont évidemment étroitement liées à celles concernant la structure globale et l’évolution de l’Univers puisque cette masse a nécessairement contribué à l’évolution des structures cosmiques telles que nous les connaissons aujourd’hui.

Qui dit structure de l’Univers, dit galaxies. Chaque galaxie contient plusieurs centaines de milliards d’astres de dimensions, de luminosités diverses. On constate que les galaxies s’organisent selon un petit nombre de familles possédant une forme bien définie. Parmi celles-ci, la structure spirale semble la plus répandue. Plus de la moitié des galaxies brillantes, telle que la nôtre, possède une telle structure.

Une étude des galaxies spirales, menée à l’ESO (Organisation Européenne pour des Recherches Astronomiques dans l’Hémisphère Austral) depuis presque une décennie, vient d’aboutir à d’étranges conclusions relatives à la présence de matière obscure dans l’Univers. (1) Elles ont des conséquences directes sur ce problème de la “masse manquante”.

L’atlas ESO
C’est en 1972 que l’ESO a entamé la production du premier atlas photographique moderne du ciel austral. Depuis, ce sont plus de 1.200 plaques photographiques grand format qui ont été réalisées en lumière bleue au télescope Schmidt de 1m de l’ESO à La Silla au Chili. Les 606 meilleures d’entre elles constituent le matériel de base de l’“ESO Quick Blue Atlas of the Southern Sky” terminé en 1980. Cet atlas montre des objets jusqu’à cent fois plus faibles que les précédents et, comme on pouvait l’espérer, il fut l’occasion de nombreuses découvertes.

Un catalogue de plus de 16.000 galaxies brillantes, d’amas stellaires (agglomération d’étoiles de même âge au sein d’une galaxie) et de nébuleuses galactiques a été réalisé par l’astronome suédois Andris Lauberts et publié par l’ESO en 1982. Il contient la première classification systématique par type (elliptiques, spirales, irrégulières) de galaxies du ciel austral.

Là ne s’arrête pas la performance. En 1982, le même Andris Lauberts et l’astronome hollandais Edwin Valentijn s’attelaient à une tâche bien plus ambitieuse. Aidés d’un microphotomètre de haute précision au centre de l’ESO à Garching (RFA), ils entreprirent de mesurer les images de quelque 15.647 galaxies du fameux catalogue.

Ils effectuèrent ensuite le même travail sur des plaques rouges obtenues également au télescope Schmidt de l’ESO. Leur but était clair : transformer les images en séries de nombres et les enregistrer sur ordinateur de manière à constituer une base de donnée.

Copiée sur disques optiques, elle permet l’affichage instantané des images bleues ou rouges des galaxies étudiées et constitue donc un formidable outil dans de multiples recherches astronomiques. A l’aide de programmes spécifiques, chaque galaxie a été automatiquement analysée et classée selon son type, sa brillance, sa couleur, sa taille, son orientation, etc… Chaque galaxie est ainsi caractérisée par au moins deux cents paramètres différents.

Galaxies spirales opaques
Ce long rappel n’est certes pas inutile. Comme le précise l’ESO, des résultats nouveaux et excitants ont été obtenus par Edwin Valentijn à partir de l’étude de 9.381 galaxies spirales reprises dans ce répertoire ainsi constitué.

En premier lieu, Valentijn analysa la distribution de l’intensité en chaque point des galaxies, et ce, en fonction de leur inclinaison sur le plan du ciel, depuis l’image prise de face où ces galaxies apparaissent comme de belles spirales, jusqu’à la vue de profil où elles ont l’aspect d’un fuseau.

A partir de cette relation, il est possible de déduire l’opacité, c’est-à-dire la façon dont les galaxies absorbent la lumière qui les traverse. Il s’agit de la diminution que subit l’intensité du rayonnement émis par une galaxie lors de son trajet entre la source émettrice et l’observateur.

Et c’est ici que survint la surprise et une surprise de taille ! Contrairement à l’idée admise selon laquelle les galaxies spirales sont assez transparentes, l’astrophysicien hollandais constata qu’elles sont, en fait, très opaques et qu’elles contiennent donc, par voie de conséquence, beaucoup plus de nuages de matière interstellaire que ce qui était admis.

Il faut se rappeler qu’un nuage interstellaire ou nébuleuse est une vaste concentration de matière interstellaire dans laquelle la matière est présente sous forme de molécules. Leur masse, très variable, peut atteindre 10 exposant 6 fois celle du Soleil. La densité y dépasse en général plusieurs centaines de molécules par centimètre carré et peut même atteindre un milliard de molécules par centimètre carré. C’est au sein de ces nuages étudiés par la radioastronomie millimétrique (2) et l’astronomie infrarouge que naissent les étoiles (3). A l’évidence, la lumière des étoiles pénètre difficilement de tels nuages.

La confirmation qu’il s’agit bien de nuages moléculaires est venue d’une comparaison avec des mesures faites par le satellite infrarouge IRAS, mesures indiquant que ces nuages sont très froids, tels que ceux que l’on observe dans notre propre Galaxie.

Notons que mis en orbite en 1983, IRAS a étudié, durant plus d’un an, 98 % de la sphère céleste dans une large gamme de longueurs d’onde infrarouges.

Ces nuages sont trop froids et sombres pour être vus directement, mais l’on sait, à partir des études dans notre Galaxie, qu’ils sont constitués, en majeure partie, d’hydrogène moléculaire (H2) lui-même très difficilement observable.

Manquante ou pas manquante ?
Comme le rappelle le document de l’ESO, la masse d’une galaxie spirale peut être déterminée par l’étude détaillée des mouvements de ses étoiles, amas d’étoiles ou nuages de gaz (ceux qui sont observables par l’émission de l’hydrogène atomique, par exemple). Plus les mouvements sont rapides, plus massive est la galaxie.

De nombreuses mesures de ce type ont mis en évidence le fait que la masse était bien plus grande que celle obtenue par une autre méthode qui consiste à additionner les masses des étoiles et de la matière interstellaire visibles. C’est à partir de cette constatation qu’on en est arrivé à la conclusion qu’une grande partie de la masse n’était pas visible. De là l’expression de “masse manquante”.

Les tentatives d’explication furent nombreuses. Certains chercheurs avancèrent que les galaxies devaient être entourées de halos géants de gaz très chauds, non détectables par les instruments que nous possédons actuellement. D’autres ont proposé que cette fameuse masse résultait de la présence de particules élémentaires exotiques comme les neutrinos ou encore des “cordes cosmiques”.

Mais si les spirales contiennent bien plus de matière interstellaire que ce que l’on pensait, peut-être qu’alors n’y a-t-il pas de “masse manquante” du tout.

Pour essayer de le vérifier, Valentijn et l’astronome espagnol Ignacio Gonzalez-Serrano se sont mis à étudier une demi-douzaine des galaxies spirales parmi celles qui présentaient le plus grand déficit de masse. Dans chaque cas, ils ont pu montrer que la “masse manquante” est exactement égale à celle des nuages obscurs décelés par l’analyse de l’opacité. Conclusion : il n’y aurait donc plus lieu de parler de “masse manquante”.

Le problème est-il résolu définitivement pour autant ? Loin s’en faut. Il y aurait lieu d’étudier plus en détail la composition des nuages moléculaires des galaxies spirales dans les ondes radio et, plus particulièrement, le monoxyde de carbone. Ce qui est important, c’est que le travail réalisé par Valentijn indique à suffisance qu’il n’est pas nécessaire de faire appel à des théories exotiques pour trouver une explication à la masse manquante.

Il est à retenir que le problème de la “masse manquante” existe aussi dans les galaxies elliptiques et les amas de galaxies, mais ces objets n’étaient pas inclus dans l’étude en question.

La Voie Lactée
Notre Galaxie, la Voie Lactée, est l’exemple type d’une galaxie spirale. Dès lors, l’étude voulait qu’on mette aussi “son nez dans son assiette”, qu’on examine ses recoins susceptibles d’opacité et qu’on aille voir ce qu’il en est de la “masse manquante” dans notre banlieue galactique.

Pour ce faire, Edwin Valentijn a fait appel, une nouvelle fois, à l’ordinateur et a répertorié pas moins de 60.000 galaxies très faibles, situées dans les mêmes directions, mais de beaucoup plus éloignées que les 16.000 précédentes. Un simple comptage de tous ces objets révèle que beaucoup plus de galaxies sont dénombrées au-dessus du plan de la Galaxie (hémisphère galactique nord) qu’à son opposé et cela,
avec une proportion de 60 %.

Il existe deux explications possibles à ce phénomène. Ou bien la distribution des galaxies dans l’espace n’est pas homogène dans un endroit de l’Univers mais cela suppose que l’Univers n’est pas uniforme dans une fourchette comprise entre un et deux milliards d’années de lumière, ce qui n’est guère en accord avec les recherches cosmologiques contemporaines.

Ou alors cette différence trouve son origine dans la position du Soleil par rapport au plan de la Galaxie (à environ 40 années de lumière au nord de ce plan).

Dans cette hypoth£se, si la Voie Lactée est aussi opaque que les galaxies spirales de même type, il faut conclure que que l’absorption interstellaire dans notre Galaxie est plus significative au sud qu’au nord et, que, de ce fait, on observe plus de galaxies lointaines au nord qu’au sud. Cette conclusion est en accord avec l’hypopthèse selon laquelle notre Galaxie est plus opaque que ce que l’on imaginait.

De nouvelles observations, particulièrement dans l’hémisphère austral, à l’aide du télescope millimétrique SEST de l’ESO à La Silla, devraient permettre de clarifier la situation et corroborer, avant tout autre chose, la thèse réaliste selon laquelle la “masse manquante” ne manque pas.

La dernière conférence internationale en date sur la cosmologie physique qui s’est tenue début septembre À Blois , organisée par le théoricien français Tran Thanh Van et qui réunissait plus de deux cents participants dont le Prix Nobel Robert Wilson, n’a laissé aucun doute sur l’intérêt de l’étude de l’Univers noir. La traque de la “masse cachée”

Astrophysique Festin cannibale

Des observations réalisées au moyen du Télescope de nouvelle Technologie (NTT)
de 3,5 m de l’ESO (Organisation européenne pour les Recherches astronomiques
dans l’Hémisphère austral) par un groupe d’astronomes européens ont montré,
il y a peu, que l’objet très compact découvert au centre de l’énigmatique binaire
connue sous la désignation astronomique SS-433, est plus que probablement une étoile
à neutrons et non un trou noir comme la plupart des scientifiques le pensaient.

L’amélioration des techniques d’observation a finalement permis de déterminer de façon fiable la masse de cet objet céleste : il est moins “lourd” que le Soleil et, par conséquent, il n’est donc pas assez massif pour être un trou noir. Tout n’est pas dit pour autant,
car SS-433 est un objet bien peu ordinaire donc tout à fait passionnant à étudier.
En 1977, les astronomes américains C. Bruce Stephenson et Nicolas Sauduleak publiaient une liste d’étoiles à raies d’émission. On le sait, ces raies spectrales (lignes brillantes correspondant à un excès d’intensité dans certaines longueurs d’onde du rayonnement électromagnétique) sont produites dans l’entourage d’étoiles très chaudes, soit dans leur atmosphère même, soit dans une nébuleuse (nuage de gaz et de poussières) qui les enveloppe.

L’intérêt des astronomes pour de tels objets se comprend aisément. Ces objets sont intéressants sur le plan scientifique parce qu’ils représentent des étapes évolutives dans la vie de ces étoiles de courte durée à l’échelle de l’Univers. En effet, les étoiles très chaudes ont une durée de vie fort brève. Elles sont donc par conséquent peu nombreuses.

L’objet n° 433 de cette liste SS-433 est une étoile de magnitude 14 située dans la constellation équatoriale, traversée par la Voie lactée, de l’Aquila (L’Aigle). On remarqua très vite que sa position coïncidait avec celle d’une source ponctuelle d’émission en ondes radio. Mieux, elle coïncidait également avec une source de rayons X détectée, dès 1976, par le satellite Uhuru. Enfin, dans cette même petite portion du ciel, régnait une source étendue d’émission radio, dénommée W50. Il y en avait assez pour entretenir l’intérêt des chercheurs.

Eclipes régulières
Pourtant, c’est dans le domaine visible, c’est-à-dire dans le domaine optique, que la nature toute particulière de SS-433 s’est révélée, justement au cours d’observations spectroscopiques réalisées à des longueurs d’onde optiques. Ces obsevations mirent en évidence la présence d’intenses raies d’émission de l’hydrogène laissant apparaître des vitesses énormes, variables, aussi élevées que 17 % de la vitesse de la lumière, plus importantes que celles qu’on pouvait attendre ou qu’on n’avait jamais vues dans n’importe quelle étoile individuelle dans la Voie Lactée et étrangement similaires à ce qu’on avait observé dans d’autres galaxies, hautement énergétiques.

En outre, les vitesses variaient régulièrement, atteignant au maximum 50.000 kilomètres par seconde dans la direction opposée à la nôtre et 30.000 km/sec dans notre direction, et ce à l’intérieur d’une période de 163 jours.

Ce n’est pas tout. Des mesures photométriques de la totalité de lumière émise par SS-433 dans différentes gammes d’onde ont montré, à chaque fois, des changement périodiques.

En particulier, il est apparu que le système passait par des éclipses régulières, indiquant que l’objet émetteur de lumière passe derrière un autre objet une fois tous les 13 jours. Les chercheurs ont également constaté que certaines raies spectrales plus faibles, lesquelles ont une vitesse presque constante, varient avec la même périodicité.

Un problème majeur dans l’étude de SS-433 est qu’il se trouve situé dans une région galactique fortement obscurcie par l’interposition de nuages interstellaires, d’où une absorption presque totale de la lumière qu’il émet. Ainsi, moins d’un pour cent des rayons lumineux parvient à traverser cet écran.

Au début des années 80, cet étrange objet si fortement occulté mais relativement proche, fut pourtant l’objet de nombreuses recherches, d’autant plus que l’on pensait qu’il pouvait bien abriter un mini trou noir, sorte de version réduite d’un processus responsable de fortes émissions radio et de jets observés dans les noyaux très énergétiques de galaxies actives très éloignées, de radiogalaxies et de quasars.

La nature de SS-433
Dix années de recherches ont conduit à une interprétation aujourd’hui généralement acceptée de l’étrange système SS-433, tel qu’il est représenté ci-dessus. Ce système se situe à une distance d’environ 5.500 parsec (18.000 années de lumière) dans une région très peuplée de notre Galaxie.

Il s’agit d’une étoile double dont les deux composantes, très différentes l’une de l’autre, tournent l’une autour de l’autre en 13 jours. L’objet le plus gros est une étoile chaude; le plus petit, compact, est entouré d’un disque d’accrétion (matière dense capturée par attraction gravitationnelle) en rotation rapide.

L’étoile chaude perd ainsi sa matière et donc de sa masse à un taux très élevé. Chaque année environ un millionième de masse solaire s’en échappe pour être “avalé” par le disque d’accrétion. SS-433 est donc dans une phase de transfert de masse très rapide qui pourrait durer quelques millions d’années au plus, peut-être même beaucoup moins.

Les atomes d’hydrogène qui sont à l’origine des intenses raies d’émission dans le spectre de SS-433, appartiennent à deux jets étroits de matière qui s’éloignent de part et d’autre de l’objet compact avec des vitesses de 80.000 km/sec. On pense que deux canaux sont créés dans des directions opposées près de l’axe de rotation du disque d’accrétion. C’est dans ces canaux que circulent les jets, accélérés sous l’impulsion de fort processus énergétiques.

Ces jets ne sont pas fixes mais animés d’un mouvement de précession tout comme le mouvement conique très lent, effectué par l’axe de rotation de la Terre autour d’une position moyenne correspondant à une direction normale au plan de son orbite autour du Soleil. Ce mouvement conique terrestre s’effectue en 26.000 ans. Par comparaison, la précession de SS-433 se fait en 163 jours.

Les vitesses mesurées des raies d’émission sont expliquées par la théorie de la Relativité d’Einstein. Cette interprétation a été confirmée par des observations radio haute résolution de la structure des jets ainsi que leur mouvement de précession.

Par ailleurs, des observations radio et aux rayons X ont aussi révélé l’interaction de ces jets avec la nébuleuse W50 qui entoure SS-433. Il apparaît maintenant que cette nébuleuse est le reste gazeux d’une ancienne supernova et que l’objet issu de son explosion est bien l’objet compact de SS-433.

La masse de l’objet compact
Le modèle de SS-433 que nous venons de décrire comporte un “moteur” central, hautement énergétique, qui est à l’origine des jets de matière. C’est évidemment d’un grand intérêt du point de vue de l’astrophysique que de découvrir la vraie nature de cet objet compact.

Il existe, ou, plus exactement, on connaît deux types d’objets compacts capables de fournir l’énergie nécessaire à de telles accélérations de matière : un trou noir ou une étoile à neutrons. L’un et l’autre peuvent être le résultat de l’explosion d’une supernova.

Dans les deux cas, des quantités énormes d’énergie sont libérées quand la matière du disque d’accrétion tourne en spirale à une vitesse qui augmente vers la surface de l’objet compact.

Comment déterminer si on a affaire à l’un ou à l’autre ? Un seul moyen existe : la “pesée” de l’objet compact. Si la masse de cet objet est inférieure à environ trois masses solaires, il s’agira très probablement d’une étoile à neutrons.

Dans le second cas, c’est-à-dire si la masse de l’objet est supérieure à trois masses solaires, l’objet deviendrait instable et s’effondrerait rapidement en un trou noir qui, comme on le sait sans doute, est une matière en effondrement gravitationnel irréversible et en contraction indéfinie dont le champ de gravitation est si intense que rien, même pas la lumière, ne peut s’en échapper.

Cette “pesée” est en principe possible en déterminant avec précision le mouvement orbital des deux composantes de ce système binaire. C’est d’ailleurs de cette manière qu’on a pu déterminer la masse de la Terre, de la Lune et de toutes les planètes du Système solaire et de leurs satellites.

Cependant, cela semble plus difficile dans le cas de SS-33. Il y a peu, les mesures laissaient prévoir des masses de 4 à 10 masses solaires laissant provisoirementt identifier l’objet comme étant un trou noir.

Les résultats obtenus par l’ESO
Profitant d’une instrumentation très perfectionnée et toute récente, quatre astronomes européens travaillant à La Silla au Chili viennent de procéder avec succès à une nouvelle détermination de la masse de l’objet compact de SS-433. Il s’agit de Sandro D’Odorico (ESO), Thomas Oosterloo (ESO, observatorio del Roque de los Muchachos, La Palma Spain), Tomaz Zwitter (University of Ljubljana) et de Massimo Calvani (Observatory of Padova, Italy).

Avec la pratique courante de répartition très stricte du temps d’observation sur les grands télescopes, il est normalement impossible de suivre l’évolution d’un objet durant une période suffisamment longue. Cependant la période d’essai du nouvel "Multi-Mode Instrument> (EMMI), couplé au télescope NTT (télescope de nouvelle technologie) de 3,50 mètres, a offert une occasion unique pour effectuer d’excellentes mesures spectrales de SS-433 et ce, durant toute sa période orbitale de 13 jours.

Les astronomes ont ainsi obtenu quinze spectres haute résolution de SS-433 dans l’émission spectrale bleue, centrée sur une raie d’émission de l’hélium ionisé présent dans le disque d’accrétion entourant l’objet compact. Grâce à la haute qualité des données spectrales obtenues à l’aide du nouvel instrument, les astronomes ont pu obtenir des mesures précises des variations de vitesse des ions d’hélium et donc du disque d’accrétion et de l’objet compact central.

Les nouvelles données indiquent clairement l’amplitude précise de la variation de vitesse due au mouvement orbital de l’objet étudié. L’orbite peut ainsi être déterminée. Mieux, le rapport des masses des deux composantes de ce système binaire, rapport qui est déterminé par le recours à la photométrie (mesure des grandeurs relatives au rayonnement d’une source lumineuse), et, grâce aux observations dans le domaine des rayons X antérieures, a conduit à une détermination raisonnablement précise de la masse des deux composantes du système. On trouve 0, 8 masse solaire pour l’objet compact et 3,2 masses solaire pour son volumineux compagnon, l’étoile chaude.

En conclusion, cela signifie que l’objet compact dans SS-433 est suffisamment “léger” pour qu’il s’agisse d’une étoile à neutrons, issue de l’explosion antérieure d’une supernova dans le système SS-433. Il subsiste donc peu de possibilités qu’il soit un trou noir. Le diamètre d’une étoile à neutrons d’une telle masse doit être de l’ordre de 10 km, ce qui lui confère une densité peu imaginable.

La démonstration de la présence d’une étoile à neutrons dans SS-433 est un résultat d’observation important qui a des implications non négligeables pour mieux comprendre l’évolution stellaire avancée. Par contre, cette démonstration n’est pas pour contenter les partisans des trous noirs. Mais, bien sûr, elle n’exclut pas leur existence ailleurs et dans d’autres systèmes binaires célestes.

On aura remarqué que SS-433 nous offre aussi un spectacle de festin cannibale, pas du tout rare dans l’Univers. La grosse étoile chaude, par le transfert d’une partie de sa masse, est lentement “gobée” par sa compagne, véritable prédateur, à qui profite l’intense attraction gravitationnelle. Ce pourrait être l’objet d’un prochain article qui pourait être consacré à la vie et à la mort des étoiles.

Cailloux célestes

L’Institut d’Astrophysique de l’Université de Liège organise son prochain colloque international du 24 au 26 juin à l’Observatoire de Cointe. Rappelons qu’il organise de telles rencontres internationales de très haut niveau deux années consécutives sur trois, la troisième année étant réservée à la réunion de l’Assemblée générale de l’Union Astronomique Internationale.

Le dernier en date s’est tenu début juillet 1990. Il s’était donné comme objectif d’étudier le domaine de l’infrarouge lointain et la région sub-millimétriique, dernière fenêtre non explorée du spectre électromagnétique.

Co-parrainé par l’Agence Spatiale Européenne (ESA), ce colloque avait réuni une centaine d’experts internationaux dont deux Prix Nobel de Physique en la personne de Charles Townes (Département of Physics Université of California, Berkeley, USA), président du Comité scientifique, et de Robert Wilson.

Le premier reçut le Prix Nobel de Physique en 1964 pour la découverte de l’effet Maser (amplification de micro-ondes par émissions de rayonnement stimulé). Le second partagea le Prix Nobel de Physique en 1978 avec Arno Penzias. On doit à ces deux Américains la découverte de l’existence du rayonnement fossile isotrope qui baigne l’Univers. Appelé “bruit de fond du ciel”, ce rayonnement thermique diffus du fond du ciel à 2,7° Kelvin (-270° C) conforte, avec la constante de Hubble, la théorie de l’expansion primordiale du “Big bang” dont il est le rayonnement fossile.

S’il le fallait encore, la présence de ces deux récipiendaires du Nobel prouve à suffisance, la haute tenue scientifique de ces colloques liégeois qui, au fil des ans, sont devenus des manifestations extrêmement bien cotées parmi les grandes réunions internationales.

Généralement, les colloques de Cointe abordent des thèmes hautement théoriques allant des quasars et des lentilles gravitationnelles aux observations à haute précision en passant par les problèmes théoriques en stabilité et oscillations stellaires.

Il en est encore de même cette année. Ce 30e Colloque International d’Astrophysique de Liège va se pencher sur les observations et les propriétés physiques des petits objets du Système solaire. Comme le programme ci-dessous nous l’indique, il sera question des astéroïdes, de l’astéroïde Gaspra, le premier a avoir eu sa photo dans les journaux.

Les astéroïdes (ou petites planètes) sont nombreux dans le Système solaire. On les retrouve concentrés entre Mars et Jupiter. Les plus gros ont un diamètre entre 200 et 800 km; 34 astéroïdes ont plus de 100 km de diamètre; 3.000 de ces objets sont répertoriés avec une dénomination. Le nombre total d’astéroïdes dont le diamètre est supérieur à 400 mètres est estimé à plusieurs millions. Leur origine reste assez mystérieuse, mais elle est liée à la formation du Système solaire. Certains de ces objets ont déjà heurté la Terre.

Il sera aussi question de la traque et de la surveillance en Europe d’objets potentiellement dangereux et susceptibles de passer à proximité de la Terre.

Ce thème est donc de nature à intéresser un large public, soucieux, comme tout peuple gaulois qui se respecte, d’éviter que “le ciel lui tombe sur la tête”.

En prélude à ce 30e Colloque, l’Institut d’Astrophysique accueillera, du 22 au 24 juin, la première réunion pléniére de la Société Européenne d’Astronomie (E.A.S.) sur le thème de l’impact de la recherche spatiale sur l’astronomie.

Voilà une grande première qui laisse présager, une fois de plus, que l’Institut d’Astrophysique de Liège n’en a pas fini de porter le renom de notre Alma Mater aux quatre coins de la planète Terre : Informations sur notre satellite : la Lune.

Pierre Bastin


Le programme du colloque
Du 24 au 26 juin se réuniront à l’Institut d’Astrophysique de l’Université de Liège (Cointe) près d’une centaine de spécialistes internationaux (d’environ 15 pays), s’intéressant aux observations et à l’étude des propriétés physiques des petits corps du Système solaire. (*)

Parmi les thèmes majeurs qui seront abordés au cours de ce 30e Colloque International d’Astrophysque de Liège, on peut citer :

On notera plusieurs communications relatives aux observations obtenues lors de la rencontre de la sonde Galileo en route vers Jupiter avec l’astéroïde Gaspra. Au cours de son long voyage vers la planète géante, la sonde s’est approchée le 20 octobre dernier à moins de 2.000 km de cette petite planète longue de 20 km.

Des difficultés de transmission des images, dues au blocage de l’antenne de Galileo, avaient empêché à l’époque de recevoir l’ensemble des données numériques enregistrées lors de la rencontre. C’est maintenant chose faite puisqu’au cours des dernières semaines, des images de grande qualité ont pu être envoyées vers la Terre. Le Professeur Belton, responsable de la caméra de Galileo sera présent à Liège avec plusieurs collaborateurs pour présenter ces nouvelles observations et en décrire les implications pour notre connaissance du Système solaire et de sa rotation.

L’Agence Spatiale Euroéenne (ESA) étudie en effet, en ce moment, divers scénarios de sondes interplanétaires destinées à recueillir des données au voisinage de ces objets célestes. Cette sonde, lancée par la future fusée européenne Ariane 5 compléterait les observations effectuées à partir des télescopes au sol ou de missions spatiales.

De précieux renseignements ont pu être recueillis par la sonde Giotto de l’ESA mais les mesures ont été de courte durée et la sonde est passée très rapidement à plus de 100 km du noyau de la comète. Le projet qui sera discuté à Liège par quelques-uns des principaux spécialistes du domaine prévoit la possibilité d’un arrimage pour le prélèvement d’échantillons de surface et retour vers la Terre pour l’analyse de ceux-ci dans les laboratoires.

Le choix des thèmes de cette assemblée n’est nullement fortuit : par leurs travaux tant observationnels (Observatoire Européen Austral, participation à des programmes spatiaux) que théoriques (physique cométaire, modélisation des astéroïdes, etc.), plusieurs membres de l’Institut d’Astrophysique de Cointe participent activement aux recherches dans les domaines qui seront abordés à l’occasion du 30e Colloque International d’Astrophysique de Liège.

Ce colloque est placé sous la présidence du professeur André Brahic (Université de Paris VII et Observatoire de Meudon, France), spécialiste de la physique des anneaux planétaires et des observations spatiales des corps du Système solaire.

Le comité scientifique d’organisation comprend A. Detal, V. Dols, O. Hainaut, J. Henrard (Facultés de Notre Dame de Namur), P. Paquet (Observatoire Royal de Belgique), A. Pospieszalska-Surdej et J.P. Swings. Il est présidé conjointement par J.C. Gérad et J. Surdej. Mme D. Fraipont assume les charges secrétariales.

La séance d’ouverture de ce 30e Colloque aura lieu le 24 juin à l’Observatoire de Cointe en présence d’autorités académiques.


(*) L’organisation du Colloque a été rendue possible grâce au soutien financier du Fonds National de la Recherche Scientifiques, du Ministère de l’Education et de la Recherche de la Communauté Française, de l’Université de Liège et de diverses firmes privées (Centre Spatial de Liège, Kemper Europe Reassurances).


Réunion plénière de la Société Européenne d’Astronomie
Recherche spatiale et astronomie
Après quelques années de tâtonnements, l’E.A.S. (Société Européenne d’Astronomie) a été créée à Davos (Suisse), en 1990. Son président est le Professeur L. Woltjer, bien connu à Liège : le Professeur Woltjer est en effet docteur honoris causa de l’Université de Liège (mars 1991), il a prononcé le 1.000e séminaire de l’Institut d’Astrophysique en septembre de l’année dernière et il a été, durant treize ans, directeur général de l’Observatoire Européen Austral et a ainsi eu de très nombreux contacts avec des astrophysiciens liégeois.

L’E.A.S. compte environ mille membres fondateurs qui ont décidé de mettre sur pied cette Société Européenne, corollaire à l’unité ou à l’identité européenne.

Les buts principaux sont d’échanger des idées, des données, des méthodes, de promouvoir le mouvement des astronomes, de publier des résumés de découvertes européennes, bref de servir de forum aux activités astronomiques européennes. Un fonds spécial d’aide aux astronomes des pays de l’est, ex-URSS surtout, est également en train d’être mis en place. Une “E.A.S. Newsletter” est publiée régulièrement; les thèmes essentiels qui y sont développés sont : des nouvelles de la société, des résultats d’observations au sol et dans l’espace, des informations en provenance des USA et d’ailleurs, des messages du président, de l’éditeur, du secrétaire et du trésorier, etc.

Le membre représentant la Belgique à ce Conseil est Jean-Pierre Swings, de l’Institut
d’Astrophysique de Liège.

Ce Conseil se réunira à Liège ce 21 juin et une assemblée générale de l’E.A.S. aura lieu ce 23 juin au Sart Tilman. La première réunion plénière de l’EAS, qui se tiendra également au Sart Tilman du 22 au 24 juin, a comme thème : “The impact of space research on astronomy”. Près de deux cents scientifiques y sont attendus.

Le programme scientifique, élaboré sous la présidence particulièrement active du Professeur G. Setti, est articulé autour de neuf sujets principaux :

De plus, Sir Fred Hoyle donnera une conférence invitée sur la “Création de la matière” le mardi 23 juin.

Les neuf sujets qui seront abordés à Liège couvrent une grande partie des domaines dans lesquels des progrès significatifs à nos connaissances ont été apportés par des missions spatiales, notamment celles dans lesquelles des Européens sont impliqués soit directement, soit via des collaborations internationales.

Chaque sujet sera introduit par un spécialiste européen invité, à la lumière de missions passées, présentes ou à venir. Ces synthèses constitueront l’ossature de la réunion; il y aura évidemment place pour des contributions orales. Vu l’envergure et le nombre des sujets abordés, la réunion sera organisée sous la forme de sessions parallèles. Ce ne sera cependant pas le cas pour l’assemblée générale de l’E.A.S. qui sera suivie de la session unique sur les missions spatiales européennes.

Le comité local d’organisation est composé de D. Fraipont (secrétaire), J.C. Gérard, J. Surdej
et J.P. Swings (président).

Nova Muscae 1991 - Journal d’une apparition

Explosion de la Nova Muscae 1991 dans la constellation australe de la Mouche. Le cliché de gauche
a été réalisé à l’aide du télescope Schmidt de l’ESO, en 1976, dans la couleur rouge et avec une pose
de 120 minute. Le cliché de droite qui couvre le même champ a été réalisé avec la camera CCD
du télescope NTT de 3m50, le 15 janvier dernier, avec une pose de 5 secondes. La Nova Muscae
est parfaitement visible au centre de la seconde image. Son progéniteur, c’est-à-dire l’étoile
avant son explosion, est hélas à peine discernable sur la photo de gauche. (© Photos ESO).
Une nouvelle étoile maintenant connue sous le nom de Nova Muscae 1991, vient d’être localisée grâce à sa puissante source de rayonnement X. Les chercheurs sont arrivés à identifier sa contrepartie optique, ce qui n’épuise ni leur curiosité ni leur enthousiasme.
En partant d’informations reçues de scientifiques danois travaillant avec un télescope X pour la recherche et l’étude des sources célestes de rayonnement X, télescope placé sur un satellite soviétique, des astronomes de l’observatoire de l’ESO (Organisation Européenne pour des Recherches Astronomiques dans l’Hémisphère Austral) à La Silla au Chili viennent de découvrir une nouvelle étoile, au comportement pour le moins étrange, au sud de la constellation de Musca (La Mouche) dans l’hémisphère austral.

Les premières observations réalisées au moyen du télescope NTT (New Technology Telescope) de 3m50 de l’ESO indiquent que cet objet est une nova, c’est-à-dire une étoile qui, soudainement augmente d’éclat et devient beaucoup plus brillante pendant un laps de temps assez court et paraît ainsi constituer une étoile nouvelle, avant de reprendre peu à peu son éclat initial. Cette nova est à l’origine une petite étoile très dense faisant partie d’un système binaire, étoile dont la luminosité, à l’occasion d’une réaction extrêmement violente, s’est subitement accrue de l’ordre d’un millier de fois.

Ces observations vérifiées tant dans le domaine optique et que dans celui de rayonnement X, révèlent un objet relativement inhabituel donc particulièrement intéressant.

Les dernières informations reçues de l’ESO nous permettent de retracer l’histoire internationale de cette Nova Muscae 1991. C’est suffisamment rare pour qu’on puisse s’y attarder quelque peu. Et c’est aussi une belle saga astronomique internationale.

Cette nouvelle étoile fut détectée pour la première fois par la caméra à grand champ “Watch” pour le rayonnement X, un instrument mis au point par l’Institut danois de Recherche spatiale (Lyngby, Danemark) en collaboration avec l’Institut de Recherche Spatiale de Moscou. Cette caméra fut placée sur le satellite soviétique “Granat” mis sur orbite en décembre 1989.

Ce 10 janvier, lors d’un contrôle du débit des données fournies par la caméra “Watch”, Søren Brandt, scientifique danois travaillant à la station “Granat” en Crimée, remarqua l’émergence soudaine, par rapport aux observations de la veille, d’une nouvelle source d’émission X dans le ciel austral.

Cette nouvelle source de rayonnement X était d’une intensité inhabituellement forte. Elle constituait même la seconde source la plus puissante dans le ciel observé à ce moment, deux fois plus intense que le rayonnement X de la célèbre Nébuleuse du Crabe, reste gazeux d’une explosion de supernova, datant de 1054, dans la constellation du Taureau. (1)

Brandt transmit immédiatement les données détaillées à Niels Lund à l’Institut de Recherche Spatial danois, principal responsable du projet “Watch”. Cette source d’émission se trouvant dans le ciel austral, c’est-à-dire non observable depuis l’Europe, Niels Lund contacta, le même après-midi, des scientifiques de l’ESO au Chili, suggérant qu’une étude soit menée sur cette source céleste de rayonnement X, mais cette fois dans le domaine optique.

Nuits après nuits
Le premier repérage de la source X lui donnait une position dans la direction de la constellation de Musca, à l’intérieur d’un cercle d’un degré de diamètre. Cette position se situe à l’intérieur de la bande lumineuse et riche d’étoiles de la Voie lactée, à quelque 20° du pôle sud céleste.

Dès les premières heures du 11 janvier, à l’Observatoire de La Silla, une plaque photographique fut exposée durant 10 minutes au moyen de l’astrographe GPO (instrument destiné principalement à photographier des champs stellaires pout déterminer les coordonnées des objets qu’ils renferment). Elle n’enregistra cependant aucun nouvel objet visible dans la partie du ciel censée renfermer la source “Watch” d’émission X.

La nuit suivante, Guido Pizarro, assistant de nuit, répéta l’opération mais cette fois à l’aide du télescope de Schmidt. Une exposition de 45 minutes enregistra un grand nombre d’objets faibles. Mais toujours pas de nouvel objet dans le champ étudié. Cet objet aurait pourtant dû être plus brillant que la magnitude 16. (2)

Il en faut beaucoup plus pour décourager les astronomes. Au matin du 13 janvier, ils remettent ça, toujours au télescope de Schmidt, mais, cette fois, avec une exposition de 90 minutes et alors qu’un télex annonçait que le satellite japonais Ginga venait de préciser la position de l’émission de rayons X enregistrée dans la constellation de Musca.

Le nouveau cliché obtenu donna plusieurs milliers d’étoiles à l’intérieur même de ce qu’on appelle “la boîte à erreur X-ray”, c’est-à-dire l’aire d’incertitude acceptable pour la position d’une source X.

La découverte de l’image optique de l’objet émettant des rayons X fut finalement réalisée l’après-midi du 14 janvier par les astronomes de l’ESO, Massimo Della Valle et Brian Jarvis.

Par une comparaison attentive des nouvelles plaques photographiques obtenues au télescope de Schmidt avec des plaques plus anciennes disponibles dans les archives de La Silla, ils détectèrent une nouvelle étoile relativement faible, d’une magnitude entre 16 et 17, aux limites de la “boîte à erreur X-ray”.

Pendant la nuit du 14 au 15, grâce au télescope NTT (New Technology Telescope) qui est le télescope optique de 3,50 m le plus avancé du monde, ils purent obtenir des images CCD et le spectre de la source. A la surprise générale, on constata que l’étoile avait accru sa luminosité de manière considérable, passant alors à la magnitude 13. De plus, les premières analyses donnèrent à penser que l’étoile était plutôt bleue, signe indicatif d’un objet chaud, donc très énergétique.

Un comportement inhabituel
Ces observations donnaient à penser que cette nouvelle source X provenait plus probablement d’une étoile qui avait explosé, c’est-à-dire une nova dont la lumière (optique) nous parvenait encore.

Une des images digitales CCD fut transmise le 15 janvier au matin au quartier général de l’ESO. L’astronome Richard West arriva à mesurer la position de cette étoile avec une précision de 0,2 seconde d’arc. Ce qui lui permit d’en déduire qu’on était en présence d’une étoile très faible (magnitude 21) de couleur bleue ayant exactement la même position que l’étoile enregistrée sur des plaques photographiques réalisées en 1976 et 1984 au télescope de Schmidt. C’est cette étoile qui avait dû exploser.

L’ESO transmit aussitôt l’ensemble de ces informations à l’Union Astronomique Internationale (IAU) qui les publia le même jour par sa circulaire 5165 avec la suggestion que d’autres observatoires aussi bien au sol que dans l’espace se joignent à la campagne d’observation de cet objet inhabituel, désigné, selon la coutume astronomique, par “Nova Muscae 1991”.

Dans notre galaxie, on observe en moyenne, chaque année, deux novae. Il en est de même dans les galaxies voisines. Une nova type brille jusqu’à atteindre son maximum durant quelques jours. Sa luminosité décroît ensuite lentement durant une période, généralement de plusieurs semaines.

Manifestement, le comportement de notre Nova Muscae 1991 était inhabituel puisqu’elle avait commencé à émettre des rayons X avant même de se manifester dans le visible.

Il semble aujourd’hui certain que cet objet appartient à la classe rare des dénommées “X-ray novae”, dont certaines ont été détectées en 1975, 77, 80 et 89. Ils sont différents de la nova classique dans la mesure où ils ont de très fortes émissions X. Dans le cas des “X-ray novae”, le rapport entre l’énergie émise dans le domaine X et dans celui du visible est d’environ 1000, alors que dans le cas de la nova classique, le rapport est seulement de 0,0001, c’est-à-dire dix mille fois moins.

Naine blanche, étoile à neutrons ?
On pense que les phénomènes nova apparaissent dans des toiles binaires et qu’ils sont causés par un transfert de matières d’une étoile de cette composante vers l’autre qui est un objet compact, c’est-à-dire une naine blanche ou une étoile à neutron, l’hypothèse d’un trou noir n’étant pas exclue. (3)

De toute façon, le processus est le même. De la matière se rassemble en un disque autour de l’étoile compacte et, de l’intérieur de ce disque, elle s’enroule en spirale de plus en plus serrée à la surface de l’étoile.

Dans une nova classique, l’étoile compacte est une étoile naine blanche qui pèse presque autant que le Soleil mais qui n’est pas plus grosse que la Terre.

A un certain moment, une réaction thermonucléaire peut se produire dans cette matière riche en hydrogène, à la surface de l’étoile qui projettera de la matière stellaire dans l’espace environnant. Durant cette explosion, la formidable croissance de la luminosité de la nova est causée par la lumière émise au niveau de l’enveloppe chaude entourant l’étoile binaire.

Contrairement à l’explosion d’une supernova, l’étoile naine blanche survit à cet événement catastrophique. Certains de ces objets peuvent faire l’expérience d’explosions répétées. Ils sont connus comme étant des “novae récurrentes”.

Dans les novae à émission X comme la nova Muscae 1991, on pense, par contre, que l’objet compact est une étoile à neutrons, étoile extrêmement dense, aussi massive que le Soleil mais avec un diamètre de seulement 10 à 15 km. Dans ce cas, le phénomène nova est causé par une instabilité gravitationnelle dans la matière même provenant du disque et tombant dans le cœur de l’étoile.

Une soudaine émission de l’énergie gravitationnelle près de la surface de l’étoile à neutron (émission qui peut aussi comprendre une réaction de type thermonucléaire, mais dans ce cas, il n’y a pas assez de matière pour créer une enveloppe en expansion) peut se produire.

Déterminer la phase ultime
Dans les X-ray Novae, l’augmentation de la luminosité est causée par la chaleur du disque qui émet alors fortement en X autant que dans le visible. Certaines étoiles à neutrons sont en fait des pulsars, des remanants de supernovae.

Aucune fluctuation dans l’émission X-ray de Nova Muscae 1991 n’a pu être observée, mais les observations par satellites se poursuivent. Il est déjà prévu que le spectre ultraviolet sera obtenu grâce au satellite IUE.

Les spectres optiques ont été obtenus le 16 janvier et le 17 janvier par l’astronome allemand Manfred Pakull au moyen du spectrographe du télescope de 1,5 m de l’ESO à La Silla. Ils révèlent un certain nombre de larges bandes d’émission d’atomes d’hydrogène, d’hélium, d’atomes et d’ions dans le disque, reflétant son état hautement énergétique actuel et une grande vitesse de rotation, de l’ordre de plusieurs centaines de km/sec.

Nova Muscae 1991 est, de toute évidence, un objet très intéressant qui va être maintenant étudié avec tous les moyens disponibles. Grâce à une excellente collaboration internationale, elle fut découverte alors qu’elle était dans sa phase critique de transition. Cette même collaboration internationale devrait pouvoir déterminer très bientôt sa phase ultime et donc sa nature exacte.

Pierre Bastin


(1) Le reste stellaire de cette explosion est un pulsar émettant aussi en ondes radio. Ce pulsar au centre de la Nébuleuse émet chaque 1/30e de seconde, soit 30 impulsions à la seconde. Il s’agit du pulsar le plus rapide connu à l’heure actuelle.
(2) Rappelons que dans l’échelle de la magnitude astronomique qui caractérise l’éclat apparent ou absolu d’un astre, les valeurs les plus petites indiquent les étoiles les plus brillantes. Une différence de magnitude de un signifie une différence d’intensité d’un facteur de 2,5. Les étoiles les plus brillantes ont des magnitudes proches de 0. A titre d’exemple, l’étoile polaire a une magnitude de 2. Les objets de magnitude supérieure à 5,5, ne sont généralement plus perçus par l’œil humain. Une étoile de magnitude 16 est de 2,514 ou 400.000 fois plus faible que l’étoile polaire.
(3) Les étoiles doubles (système binaire astronomique) constituent un couple dans lequel un compagnon est beaucoup plus faible que l’autre. Ces étoiles sont en interaction gravitationnelle. Il arrive que les étoiles, dans un tel système serré, s’approchent tant que de la matière est échangée de l’une à l’autre. Ce transfert de matière se fait de l’étoile la plus massive vers sa compagne.

Le cœur de la Voie Lactée - Enigme galactique


Voici la première image optique du centre de la Galaxie, région toujours énigmatique de “La Voie Lactée”. Elle a été obtenue au télescope NTT de l’ESO. A gauche, on trouve l’image originale qui est constituée
de la superposition de cinq expositions CCD de 40 minutes. On y voit essentiellement deux gros objets brillants. Le cliché de droite montre le résultat du traitement par ordinateur. L’image de l’étoile centrale
a été retirée. Le centre galactique situé par les observations radio est marqué d’une croix.
Il est immédiatement encadré, à gauche, par GZ-A et à droite par GZ-B. GZ-A devrait être véritablement
le centre de notre Galaxie. (© Clichés ESO)
La nature du centre de notre Galaxie, “La Voie Lactée”, constitue toujours
une des grandes inconnues de l’astrophysique contemporaine. Mais peut-être plus
pour longtemps, car ce cœur vient d’être localisé par des chercheurs de l’ESO.
C’est quoi l’Univers ? Une réponse simple et intelligente dira : “C’est tout ce qui existe”. Ce tout comprend des milliards de galaxies qui, elles-mêmes contiennent des milliards d’étoiles, sans oublier la matière interstellaire.

Notre Système solaire appartient à la galaxie “La Voie Lactée”. C’est notre Galaxie. En ce qui concerne et notre Système et notre Galaxie, un certain nombre de choses sont déjà assez bien connues, étudiées depuis longtemps parce que accessibles aux observations dans le visible.

Tel n’est pas le cas pour le centre et le noyau galactiques. Que contiennent-ils ? Personne ne peut encore répondre. C’est là une des grandes inconnues de la cosmologie contemporaine. Le centre comme le noyau restent soustraits à nos télescopes optiques à cause d’une opacité importante dûe à la concentration de matière interstellaire entre eux et l’observateur terrestre.

Un début de réponse
Cette énigme vient de recevoir un début de réponse grâce au New Technology Telescope (NTT) mis en service depuis janvier 1990 à La Silla au Chili par l’Organisation Européenne pour des Recherches Astronomiques dans l’Hémisphère Austral (ESO).

Il vient de permettre la découverte deux nouveaux objets en direction du centre de la Voie Lactée (“Milky Way” comme disent les Anglais). L’un de ces objets, d’apparence bleutée, est assimilé au centre galactique, à quelque 28.000 années de lumière. Cette observation a eu besoin de toute la puissance de pénétration du NTT pour réussir une telle image optique en se jouant de l’épaisse couche de matière interstellaire.

Ces deux nouveaux objets ont été appelés provisoirement GZ-A et GZ-B. Ils vont être analysés avec tous les moyens disponibles dans l’espoir de percer le mystère de la composition du centre de notre Galaxie. Et, plus particulièrement, de déterminer si on a affaire à un amas d’étoiles jeunes et chaudes ou si, au contraire, on est bien en présence d’un trou noir.

Certes, on reçoit une quantité importante de rayonnement infrarouge du centre de la Voie Lactée, mais pas de manière à pouvoir détecter le cœur même de notre Galaxie. Seules, les ondes radios ont jusqu’à présent permis de localiser cet endroit toujours aussi énigmatique.

En effet, les radioastronomes sont arrivés établir que la radiosource Sgr A* localisée dans la constellation australe du Sagittaire qui comme on le sait est située dans la direction du centre galactique, était bien associée à ce centre. Cependant, dans les autres gammes du rayonnement électromagnétique (infrarouge, visible, ultraviolet, X ou gamma,) on continua à ne rien déceler à la position de la radiosource Sgr A*.

Cela s’explique aisément. La région en direction du centre galactique est particulièrement riche en matière interstellaire et donc très dense. Elle absorbe tous les rayonnements de plus courtes longueurs d’onde.

Une parade astucieuse
Ce n’est pas le seul problème observationnel à surmonter. Le nombre important d’objets célestes (étoiles, amas stellaires, nébuleuses (dont M8, la nébuleuse de la Lagune et M20 la non moins célèbre nébuleuse Trifide) qui sont à l’avant-plan, est un second écran hautement perturbateur.

Dilemme donc chez les observateurs pour qui, selon toute probabilité, le centre galactique doit être bleu. Le bleu est fortement absorbé par la matière interstellaire. L’infrarouge a, sans doute un meilleur comportement, mais le cœur de la Voie Lactée ne doit pas être très actif à ces longueurs d’onde.

La parade trouvée par les astronomes de l’ESO est astucieuse : faire des observations à une longueur d’onde intermédiaire, c’est-à-dire juste au-delà du rouge. Dans ce domaine, environ un millionième de la lumière n’est pas absorbée et parvient jusqu’à l’observateur terrestre. Cette stratégie devait porter ses fruits.

Dans cet étroit “couloir” électromagnétique, les astronomes réalisèrent successivement cinq expositions de quarante minutes chacune du centre de la Galaxie. Les images ainsi obtenues par le NTT furent traitées au moyen d’un logiciel spécial appelé Midas et développé à l’ESO. Additionnées, elles fournirent l’image optique la plus profonde jamais obtenue de la région centrale de la Voie Lactée, révélant des objets extrêmement faibles. (Voir le cliché ci-dessus).

Le piqué de l’image ainsi obtenue put encore être amélioré ce qui permit de “déboucher” deux étoiles relativement brillantes. L’une d’elles a une apparence allongée. Cette déformation est dûe à la présence d’objets plus faibles situés dans la ligne de visée du NTT.

Deux objets d’aspect stellaire
En soustrayant de l’image allongée l’image de l’étoile, elle parfaitement ronde, il ne subsiste que l’image des objets faibles qui déforment la première étoile. De cette manière, émergent deux objets d’aspect stellaire, GZ-A et GZ-B.

En comparant leur position avec celle de la fameuse radiosource Sgr A*, les astronomes ont pu déterminer qu’ils se trouvent respectivement à 0,3 et à 0,5 seconde d’arc du centre galactique, dans les marges d’erreur de la position de la radiosource Sgr A*. Puisque GZ-A coïncide avec la source radio, qu’il n’émet pas dans l’infrarouge, il est donc très vraisemblablement de couleur bleue. Sans qu’il subsiste beaucoup de doutes,
GZ-A est bien le centre galactique observé dans le domaine optique.

Les astronomes de l’ESO n’en sont pas restés là. Ils se sont mis à mesurer la brillance apparente de GZ-A et à estimer l’affaiblissement que sa lumière subit tout au long de son voyage vers la Terre, de manière à reconstituer l’intensité intrinsèque de cet objet. Leurs résultats confirment que cette intensité est de quelques millions de fois celle du Soleil. Une telle intensité ne se trouve pas au premier coin galactique venu.

Dans un proche avenir
C’est vrai, elle pourrait être le fait d’un amas compact d’un certain nombre d’étoiles très chaudes tels qu’on en rencontre, en particulier, dans la nébuleuse de la Tarentule, dans le Grand Nuage de Magellan.

Mais, il pourrait aussi s’agir d’un trou noir, entouré, comme le prévoit la cosmologie moderne, de gaz extrêmement chaud. Il sera possible de déterminer laquelle des deux possibilités est la bonne, au moyen d’observations spectroscopiques. Elles seront possibles dans un proche avenir, toujours grâce au NTT qui est décidément le télescope optique techniquement le plus avancé du monde. Elles auront cependant besoin de conditions d’observation extraordinairement favorables pour porter leurs fruits.

Cette découverte importante, suscite beaucoup d’exitation parmi la communauté astronomique et a accru de manière significative nos chances d’être finalement capables de percer la véritable nature du toujours énigmatique cœur de la Voie Lactée.

Pierre Bastin

Le télescope NTT de l’ESO - L’Univers à mag.29

Le New Technology Telescope (NTT) inauguré officiellement le 6 février 1990 (© Photo ESO)
Le NTT de l’Observatoire européen austral est bien le meilleur télescope optique
au monde. Il vient de battre le record de magnitude limite en donnant l’image
la plus lointaine jamais obtenue à ce jour.
En attendant de toujours hypothétiques résultats satisfaisants de la part d’un Hubble Space Télescope qui n’en finit pas d’être myope, des progrès extraordinaires sont obtenus dans la qualité optique des nouveaux télescopes conçus pour observer l’Univers à partir du sol terrestre et défier ses turbulences atmosphériques.

L’exemple le plus flagrant nous vient du dernier né des télescopes de l’ESO (Organisation Européenne pour des Recherches Astronomiques dans l’Hémisphère Austral dont la Belgique fait partie) : le NTT (New Technology Telescope, un télescope de 3m60, installé à côté de ses aînés sur le site de la montagne de La Silla, dans les Andes, à 600 km au Nord de Santiago du Chili. L’ESO dispose actuellement à La Silla d’un parc d’une quinzaine de télescopes).

Le NTT est un télescope du 21e siècle qui fait appel à des technologies entièrement nouvelles, tout particulièrement dans les domaines de l’optique, de la mécanique et de l’électronique. Le bâtiment du NTT a également été conçu de manière à perturber le moins possible les observations.

Le système d’optique active maintient la forme et l’alignement des miroirs de façon optimale, sous le contrôle d’un ordinateur. La turbulence de l’air autour du télescope est minimisée par divers systèmes de refroidissement. Le pointage et le guidage de l’instrument sont d’une performance tout à fait inédite, ce qui élimine les bougés.

Qualités confirmées
L’ESO possède à La Silla deux télescopes de 3m60. Le NTT permet d’obtenir des images trois fois plus piquées. Son, ouverture de f/2,2 le rend trois fois plus lumineux, son miroir principal est deux fois plus léger.

Il a été mis en service durant la nuit du 22 au 23 mars 1989 et nous a donné, d’emblée, des images d’une qualité à peine concevable, il y a quelques années encore. Celles-ci se sont vues entièrement confirmées par les multiples et diverses observations astronomiques effectuées par les astronomes de l’ESO durant la période de mise en service du télescope.

Des images d’une finesse inégalée (jusqu’à 0,33 seconde d’arc de résolution, soit un détail de 500 mètres sur la Lune!) ont été obtenues et des objets extrêmement faibles ont pu être observés des étoiles plus faibles que la 25e magnitude. Les premières observations programmées concernaient la supernova 1987A dans le Grand Nuage de Magellan. (1)

Depuis, des documents supplémentaires nous sont parvenus qui nous permettent d’apprécier mieux encore le gain en résolution angulaire qui peut être atteint par la technique de l’optique active, complétée par un traitement approprié de l’image électronique obtenue sur CCD (charge coupled device, c’est-à-dire dispositif à transfert de charges. Il désigne un détecteur d’image). (2)

Les succès et les records n’ont cessés d’être battus. Nous avons déjà eu l’occasion, ici même, d’en détailler quelques-uns. Ainsi la découverte d’une nouvelle étoile dénommée Nova Muscae 1991 (3); ainsi la localisation du cœur galactique de la Voie Lactée (4).

Avant cela, on devait déjà au NTT la découverte de la galaxie “normale” la plus distante connue à ce jour. Cette distance est estimée à quelque 10 milliards d’années de lumière. Ce qui revient à dire, en tenant compte que l’âge de l’Univers est de l’ordre des 15 milliards d’années, que la lumière que nous recevons de cette galaxie a été émise alors que l’Univers n’avait que le tiers de son âge actuel. (5)

Magnitude limite
Comme le dit si bien l’astrophysicien Hubert Reeves, regarder loin, c’est voir tôt. Observer l’Univers lointain, c’est le voir au moment de sa jeunesse. Voir loin, c’est remonter dans le temps. Le but final de ce type d’observations est de remonter au plus près des premières minutes qui ont suivi le big bang, c’est-à-dire l’explosion qui, selon le modèle cosmologique le plus couramment admis à l’heure actuelle, a marquè le début de l’expansion de l’Univers.

Dans cette “course” scientifique, le NTT vient, une nouvelle fois, de marquer des points; et de prouver ses extraordinaires capacités. En effet, il vient de battre le record de magnitude limite détenu, selon nos informations, depuis une dizaine d’années par le télescope franco-canadien CFH de 3,60 m de diamètre, installé sur le volcan hawaïen Mauna Kea, à 4.200 m d’altitude.

Celui-ci peut en effet voir les objets de magnitude 27, soit des objets 250 millions de fois plus faibles que les étoiles les plus faibles dont l’éclat est visible à l’œil nu (magnitude 6).

Connu depuis deux ans comme étant le meilleur télescope optique au monde, il vient de permettre l’obtention de l’image la plus profonde dans l’Univers encore jamais obtenue avec un télescope sur terre ou dans l’espace. Le cliché ainsi réalisé montre un nombre considérable de galaxies extrêmement faibles et éloignées. L’image s’étend, en effet, au-delà de la magnitude 29. (6)

Au début du mois de mars dernier, un groupe international d’astronomes s’est lancé dans un programme ambitieux d’observation avec le NTT dans le but de détecter et mesurer des galaxies si faibles et si distantes qu’elles étaient jusqu’à présent hors de portée des autres télescopes.

Pour s’assurer qu’aucune lumière provenant d’objets relativement brillants ne viennent perturber cette recherche, les astronomes décidèrent d’orienter le NTT vers une portion du ciel appelé “vide” dans la constellation équatoriale du Sextant, au sud du Lion. De précédentes observations avaient montré qu’il ne se trouvait, dans cette direction, aucun objet plus brillant que d’une magnitude 20. Utilisant un détecteur CCD haute qualité, Bruce Peterson réalisa 41 clichés de manière à produire une image combinée.

C’est bien connu depuis longtemps, dans les expositions du ciel profond, la plupart des objets enregistrés, plus faibles que la magnitude 24 sont des galaxies, c’est-à-dire des systèmes d’étoiles énormes, plutôt que des étoiles isolées. Plus de 97 % des objets enregistrés sur le cliché sont des galaxies. Les plus brillantes d’entre elles, d’une magnitude de 21 à 25, peuvent être clairement vues comme ayant des formes différentes et peut être identifiées en conséquence.

Grâce à l’excellente résolution angulaire (le piqué) des images, on y remarque très bien leur forme allongée selon qu’il s’agisse de galaxies de type elliptique et de type spiral.

Des expositions de calibration d’objets de luminosité connue furent réalisées avec le NTT durant les mêmes nuits, de manière à mesurer avec plus ou moins de précision la brillance de tous les objets enregistrés sur la photo.

Les astronomes ont ainsi découvert que la magnitude limite qui est celle des objets les plus faibles qui peuvent être perçus, est plus faible que la magnitude 29. Pareille brillance est de 2,5 fois plus faible qu’aucune autre image obtenue jusqu’ici.

Une lueur sur la Lune
Quoi qu’il en soit, cette simple observation est d’une grande importance sur le plan cosmologique : le nombre de galaxies apparaît comme plus important à ces magnitudes si faibles. Il semble donc qu’on n’ait pas encore atteint le point de dépassement de cet ensemble de galaxies comme nous pouvons regarder les étoiles dans le Système solaire de la Voie lactée.

Pour avoir une idée un peu précise de l’exploit réalisé, on peut noter que l’observation d’une galaxie de magnitude 29 correspond à l’enregistrement de la lueur d’un cigare qui se trouverait suer la Lune ou, en des termes plus “terrestres”, à la faible lueur d’un ver luisant à Garching enregsistrée depuis La Silla, à 1.200 km. Puisque chacune des galaxies est constitue de millions et, dans la plupart des cas, de milliards d’étoiles semblables à notre Soleil, il est clair qu’elles doivent être très éloignées pour que leur lueur soit si faible.

Reste à “lire” cette image (ainsi que les suivantes réalisées depuis dans des couleurs différentes du spectre : les jeunes galaxies toujours en cours de formation sont plutôt bleues, les galaxies plus anciennes ont une lumière plus rouge, ce qui permet de donner un âge aux galaxies observées) et distinguer les galaxies naines, peu brillantes mais relativement proches, des galaxies “normales” du type de la Voie lactée) mais très éloignées ou des galaxies super lumineuses extrêmement lointaines.

Une interrogation de l’homme
Dans le cas où ces galaxies de magnitude 29 seraient des galaxies “normales” très éloignées, et en supposant l’Univers vieux de 20 milliards d’années (hypothèse très incertaine), le NTT les aurait vues telles qu’elles étaient il y a 17 ou 18 milliards d’années. Peut-être des quasars, objets d’apparence stellaire et de très grande luminosité, de l’ordre de celle qu’auraient 100 à 1.000 galaxies, seront-ils aussi découverts.

Le NTT sera aussi capable d’obtenir le spectre des galaxies plus brillantes que la magnitude 24, ce qui rendra possible la mesure de leur vitesse relative et de leurs distances cosmologiques.

Cette image obtenue au moyen du NTT nous donne une première vision de ce qui peut être réalisé avec les nouveaux moyens maintenant à notre disposition. Elle nous donne un regard unique sur des régions de l’Univers si éloignées dans l’espace et dans le temps qu’elles n’avaient encore jamais pu être observées. C’est le type de travail qui sera à la pointe de la cosmologie dans l’observation optique les pochaines années.

Reculer les frontières de l’Univers fait partie des grands défis d’aujourd’hui et de demain. Les nouveaux instruments donnent naissance à une astronomie nouvelle qui doit retrouver tout son sens à côté de l’astrophysique qui, ces quarante dernières années prit l’essor que l’on sait.

Cette astronomie nouvelle doit pouvoir prétendre très rapidement à des résultats comparables à ceux obtenus dans le domaine théorique, que ce soit à propos de la structure des étoiles ou encore à propos de la dynamique des galaxies.

Ce sont les grands questions demeurées sans réponse satisfaisante qui ont déterminé les grands projets instrumentaux de l’ESO, projets mobilisateurs qui peuvent répondre aux questions que l’homme pose à la science. Le télescope NTT est le dernier mis en œuvre par l’ESO avant le VLT (Very Large Telescope), l’espoir de tous les espoirs, en fait, le plus grand défi terrestre encore jamais lancé à l’Univers.

La définition de l’homme ne tient-elle pas dans cette interrogation permanente qu’il porte sur lui-même et sur ce qui l’a engendré ?

Pierre Bastin

Découverte dans l’amas du Toucan - Fusions charnelles

L’amas globulaire 47 Toucan. A gauche, le cliché réalisé au télescope de 2,2 m de l’ESO au Chili,
avec une résolution de 0,8 seconde d’arc. (Meylan/ESO). A droite, l’image réalisée au moyen
de la FOC du HST avec une résolution de 0,1 seconde d’arc. Elle révèle une concentration
d’étoiles “à la traîne” (entourées d’un cercle). (© NASA/ESA)
Réalisées grâce à la camera pour objets faibles du Hubble Space Telescope,
des observations dans l’amas globulaire du Toucan corroborent l’hypothèse
selon laquelle des étoiles pourraient s’emparer les unes des autres
pour évoluer vers une seconde jeunesse.
On devrait s’en rappeler, le 25 avril 1990, la navette spatiale américaine Discovery plaçait le Hubble Space Telescope (HSP), télescope spatial faisant partie d’un programme commun ESA/NASA, sur une orbite quasi circulaire à environ 614 km d’altitude. (1)

Comme on le sait aussi, les premiers tests de son instrumentation révélèrent une “myopie” du télescope principal due à un défaut de courbure de son miroir primaire entraînant des aberrations sphériques et par voie de conséquence des images floues.

Tout comme les quatre autres instruments scientifiques embarqués sur le HST, la FOC (Faint Object Camera), chambre pour objets faiblement lumineux, contribution de l’Agence Spatiale Européenne, est affectée par ce problème. Elle ne reste pas moins en mesure de procéder à d’importantes observations astronomiques sans égal malgré ce handicap.

La communauté scientifique internationale attend toujours beaucoup de ses performances qui doivent bien sûr s’affirmer dans l’observation d’objets extra-galactiques les plus lointains.

Rappelons que la FOC et ses deux détecteurs ont été testés à IAL SPACE, centre de recherche de l’Université de Liège, ancien groupe spatial de l’Institut d’Astrophysique de Liège dont il est issu. IAL SPACE, devenu depuis le Centre spatial de Liège, jouit en effet du statut privilégié d’être l’une des quatre facilités coordonnées de tests de l’Agence Spatiale européenne. (2)

L’amas 47 Toucan
Des observations à haute résolution du noyau de l’amas globulaire 47 Toucan, réalisées, il y a peu, à l’aide de cette camera, viennent corroborer l’hypothèse selon laquelle des étoiles pourraient entrer en collision et s’emparer les unes des autres, acquérant ainsi un “surcroît de longévité”. C’est ce que nous apprend un rapport scientifique de synthèse de l’ESA.

Ces observations indiquent l’existence d’une concentration étonnamment élevée d’étoiles “à la traîne” (“blue stragglers”), classe d’étoiles particulières susceptibles d’évoluer, à un moment de leur “vieillesse”, vers une deuxième jeunesse plus chaude et plus brillante. Ces étoiles pourraient également jouer un rôle crucial dans l’évolution dynamique du noyau de l’amas.

Cette découverte est à mettre à l’actif de Georges Meylan et de Francesco Paresce (tous deux astronomes à l’ESA) et Michael Shara, et de l’équipe FOC de l’Institut scientifique du Télescope spatial.

Tirant parti du pouvoir séparateur élevé du HST et de sa sensibilité dans l’ultraviolet pour sonder le cœur dense de l’amas, les astronomes ont détecté 21 “blue stragglers”. Selon Francesco Paresce, les “blue stragglers” de 47 Toucan sont concentrées à un degré extraordinaire au centre de l’amas, ce qui tendrait à prouver qu’elles résultent de la collision, de la fusion ou de la rencontre proche d’étoiles. Ce résultat surprenant permet d’expliquer pourquoi les “blue stragglers” n’ont pu, jusqu’ici, être décelées par des instruments ne possédant pas la résolution géométrique suffisante pour résoudre en étoiles le centre dense de 47 Toucan".

Précisons que Toucan est une petite constellation australe proche du pôle céleste sud. Elle renferme le Petit Nuage de Magellan et l’amas globulaire NGC 104 (ou 47 Toucan), situé à 13.000 années de lumière et visible à l’œil nu.

L’âge de l’Univers
Les amas globulaires sont des systèmes autogravitants d’étoiles très denses et riches, c’est-à-dire des groupements en “essaims d’abeilles” de plusieurs centaines de milliers d’étoiles (105 masses solaires) dans un volume, de forme sphérique, de quelques dizaines de parsecs de diamètre. (3) On en connaît actuellement quelque 130.

Eloignés du plan galactique, ces amas globulaires se situent sur le disque des halos galactiques (régions de faibles densités stellaires entourant les galaxies), et parfois dans l’espace intergalactique. (4) Formés peu après le Big Bang (explosion ayant marqué le début de l’expansion de l’Univers), ce sont les objets célestes les plus anciens de l’Univers, précurseurs des galaxies.

Il est à peu près certain que les amas globulaires ont été formés durant l’effondrement gravitationnel de la protogalaxie, vaste nuage de gaz contenant de l’hydrogène et de l’hélium à partir duquel se forme une galaxie, par contraction gravitationnelle.

Quand le nuage protogalactique s’est contracté, des régions où la densité était plus forte se sont rapidemnt condensées, sous l’action des forces de gravitation, en amas globulaires d’étoiles, chaque amas étant constitué de millions d’étoiles.

Une fois les amas formés, ils se sont déplacés en bloc à travers le nuage protogalactique sur des orbites déterminées par le champ gravitationnel général de la galaxie, avec des périodes orbitales de plusieurs centaines de millions d’années.

Selon les travaux de l’astrophysicien américain Harlow Shapley en ce domaine, travaux aujourd’hui communément acceptés, ces amas, sous l’effet de la vitesse, se sont dépouillés de toute la matière qui ne s’était pas condensée à l’occasion de la formation des étoiles. Une conclusion s’impose : aucune nouvelle étoile n’est donc apparue après la création initiale d’étoiles. Cela signifie qu’à une différence de 1 % près, toutes les étoiles d’un même amas ont le même âge.

Ainsi, les amas globulaires comptent donc parmi les premiers occupants de la Voie lactée. C’est dans le vaste halo de notre Galaxie qu’ils se sont formés avant que celle-ci ne s’aplatisse en un disque à structure spirale en forme de galette. La formation des étoiles dans les amas globulaires ayant cessé il y a 15 milliards d’années, les astronomes s’attendaient à n’y trouver que des étoiles vieilles. De fait, ils s’en servent pour estimer l’âge de l’Univers.

Etoiles “à la traîne”
Les observations faites avec les télescopes au sol confirment que les étoiles des amas se sont rapidement transformées en géantes rouges, c’est-à-dire en étoiles “vieilles”. En 1953, toutefois, l’astronome Allan Sandage a découvert une nouvelle population d’étoiles surprenante qui semblait contredire les lois de l’évolution stellaire dans les amas globulaires.

On le sait peut-être, Allan Rex Sandage est un astrophysicien américain (né en 1926) dont les travaux ont porté sur les amas globulaires, l’évolution des étoiles et la structure de la galaxie. C’est lui qui, en 1960, découvrit le premier quasar (QUAsi Stellar Astronomical Radiosource), objets extrêmement lumineux les plus lointains dans l’Univers.

A. Sandage a détecté des étoiles bleues, chaude et jeunes, dans l’amas globulaire M3, puis dans d’autres amas de ce type. Il les a qualifiées de “stragglers” (étoiles “à la traîne”), car elles semblaient avoir pris du retard par rapport à d’autres étoiles bleues ayant atteint depuis longtemps le stade d’étoile géante rouge.

L’explication la plus simple que l’on puisse avancer, note le rapport de l’ESA, c’est que les “blue stragglers” se sont formées beaucoup plus tard dans la vie de l’amas. C’est pourtant la moins probable, car les amas globulaires ont été dépouillés, il y a plusieurs milliards d’années, des poussières et gaz résiduels nécessaires à une nouvelle formation d’étoiles. Par conséquent, les étoiles ont dû toutes se former à peu près à la même époque.

On suppose également que les “blue stragglers” mélangent leurs réserves internes d’hydrogène de manière beaucoup plus efficace, ce qui leur permet de “brûler” (dans des réactions de fusion nucléaire) beaucoup plus longtemps que les étoiles bleues normales. Une étoile normale consomme environ 10 % de ses réserves d’hydrogène dans ces réactions de fusion nucléaire. Des étoiles comme le Soleil “crachent” l’hydrogène restant plus tard dans les réactions de fusion. Il faudrait que les “blue stragglers” atteignent une efficacité proche de 100 % pour “prolonger” sensiblement leur jeunesse et brûler de tout leur éclat pendant des milliards d’années.

Un scénario plausible
En 1964, l’astrophysicien et mathématicien britannique (né en 1915) Fred Hoyle (un des pionniers de l’astrophysique nucléaire) et l’astrophysicien W.H. McCrea (né en 1904 et qui expliqua la rotation du Soleil) ont émis, indépendamment l’un de l’autre, l’hypothèse selon laquelle les étoiles bleues se formeraient lorsque deux étoiles s’emparent l’une de l’autre et donnent naissance à un système binaire rigide. Ceci aurait pour effet de brasser l’hydrogène dans chacune des étoiles et de réalimenter en combustible frais leurs foyers nucléaires respectifs.

Ce scénario est plausible, car les rencontres proches d’étoiles doivent être relativement fréquentes dans le cœur très peuplé des amas globulaires. D’après les estimations des astronomes, une étoile sur cent dans un amas globulaire a rencontré de près une autre étoile. Si notre propre environnement stellaire local était aussi peuplé, on pourrait voir à l’œil nu plus d’un million d’étoiles séparées (alors qu’en réalité on ne peut en distinguer qu’environ 3.500 par une nuit sans Lune). La distance entre le Soleil et l’étoile la plus proche n’est que vingt fois la distance entre le Soleil et la planète la plus éloignée, Pluton.

Les étoiles ne se contentent pas de “défiler la nuit”. Elles sont également susceptibles de s’emparer les unes des autres. En effet, la plupart des étoiles des amas globulaires se déplacent à une vitesse relativement faible, de l’ordre de 16.000 km/h. Il est possible que deux étoiles se rencontrant lentement au voisinage d’une troisième “sentent” l’attraction gravitationnelle de cette dernière pendant un temps suffisant pour se fondre en une seule.

Dans ce cas, poursuit le rapport de l’ESA, l’étoile la moins massive soutirerait de l’hydrogène frais à son compagnon évoluant plus vite. Grâce à ce nouvel apport de combustible, l’étoile se réchauffe et bleuit. Dans le cas de rencontres frontales, il se pourrait que les étoiles fusionnent effectivement en mélangeant leur combustible et en réalimentant les foyers de fusion nucléaire.

Au fond du puits
Les étoiles fusionnées et les systèmes binaires auraient une masse environ deux fois supérieure à celle des étoiles individuelles de l’amas. Elles auraient tendance à s’installer au centre de l’amas, autrement dit au “fond” de son “puits gravitationnel”. Les observations faites à partir de la Terre semblent indiquer que les “blue stragglers” seraient des étoiles massives résultant de fusions. Il a été montré récemment qu’il existait, au centre de certains amas globulaires, une plus forte concentration de “blue stragglers” que de sous-géantes de même magnitude.

Cependant, les amas de haute densité sont plus difficiles à résoudre en étoiles à partir du sol, et il n’a pas encore été procédé à leur exploration systématique jusqu’à des limites de brillance suffisamment basses pour détecter les “blue stragglers”. Le pouvoir séparateur élevé et la sensibilité dans l’ultraviolet du Hubble Space Telescope en font un outil puissant de sondage du centre des amas globulaires.

Les chercheurs en quête de “blue stragglers” ont scruté le centre de l’amas 47 Toucan. Le HST a permis de dénombrer environ 600 étoiles dans un champ restreint (de 1,5 année de lumière de diamètre) au cœur de l’amas, alors que les images prises au sol n’en font apparaître que quelques douzaines. En comparant les clichés du HST à deux images de 47 Toucan prises dans le visible avec un temps d’exposition limité (clichés de Georges Maylan du 12 décembre 1988 avec le télescope de 2,2 m de l’ESO à La Silla, au Chili), les chercheurs ont découvert 21 étoiles exceptionnellement brillantes dans l’ultraviolet.

Un rôle crucial
Les chercheurs ont ensuite comparé la brillance et la température de ces étoiles à un modèle numérique mis au point par l’équipe de la FOC. Ce modèle permet de prévoir les caractéristiques des étoiles de la séquence principale, comme les “blue stragglers”, dans l’ultraviolet. (La séquence principale, issue du diagramme Hertzsprung-Russel (5), contient plus de 90 % des étoiles observées, qui se trouvent dans la phase stable de leur vie.) Le très bon accord entre le modèle et les observations de la FOC permet aux chercheurs de conclure que les étoiles très brillantes dans l’ultraviolet observées à l’aide du HST sont des “blue stragglers”.

Cette forte concentration de “blue stragglers” au cœur de 47 Toucan laisse à penser que ces étoiles sont beaucoup plus massives que la plupart des autres étoiles de l’amas. Certaines d’entre elles pourraient être en réalité des systèmes d’étoiles doubles, ce qui expliquerait leur caractère massif. Ces systèmes binaires joueraient un rôle crucial dans l’évolution de l’amas et expliqueraient pourquoi les amas globulaires ne sont pas plus peuplés d’étoiles en leur centre.

Il est possible, en fait, que les centres s’effondrent, puis rebondissent du fait de la présence de “blue stragglers”. Bien que celles-ci ne représentent qu’une infime partie de la population de l’amas, elles serviraient de “batteries” d’énergie cinétique. Tels des batteurs à œufs, quelques “blue stragglers” seraient capables à elles seules d’activer les mouvements de milliers d’autres étoiles de l’amas.

Le rapport de l’ESA remarque que les astronomes ne sont pas en mesure de déterminer de manière concluante, à partir des seules images de la FOC, dans quelle catégorie, parmi les trois qui peuvent être envisagées, il y a lieu de classer des “blue stragglers” de 47 Toucan. Le modèle de l’étoile binaire est toutefois corroboré par d’autres observations d’étoiles à grande vitesse détectées au centre de 47 Toucan, qui ne pourraient provenir que du rapprochement gravitationnel d’étoiles isolées et d’étoiles binaires, ou de deux systèmes binaires. Les astronomes ont découvert en outre dans 47 Toucan une population significative de pulsars binaires de fréquence proche de la milliseconde, ce qui renforce l’hypothèse de la présence d’étoiles binaires au sein de cet amas.

Il est assez aisé de comprendre l’importance de cette découverte. L’étude des amas globulaires qui offrent aussi l’un des spectacles les plus évocateurs et les plus fascinants permet, en effet, de mieux comprendre l’évolution de l’Univers.

Pierre Bastin

Astronomie terre à terre - “La Vache Morte”

Les septante-sept “vaches mortes” du désert chilien d’Atacama sont tout ce qui reste d’une météorite de plusieurs tonnes tombée il y a quelque 3.500 ans.
Comme quoi, parfois, le ciel aussi se ramasse à la pelle.
Le désert d’Atacama est un lieu parfait pour observer les corps célestes. On peut aisément le croire quand on sait que c’est cet endroit que l’ESO (Organisation Européenne pour des Recherches Astronomiques dans l’Hémisphère Austral) a choisi de construire, sur le mont Paranal, son fameux VLT (Very Large Telescope) d’une puissance équivalente à celle d’un télescope de 16 mètres.

C’est aussi un endroit exemplaire pour les astronomes qui savent se distraire quelque temps des grands télescopes pour des investigations plus terrestres. C’est ce que met en évidence un rapport de l’ESO et qui est d’abord une belle histoire que nous avons choisi de vous conter.

Ainsi, deux astronomes de l’ESO et un géologue chilien viennent de terminer l’étude détaillée d’un impact météoritique gigantesque, mais peu connu, dans une région éloignée du désert Atacama. Durant plus de quatre ans, ils ont fouillé avec d’infinies précautions une importante surface de ce lieu et ont collecté 77 fragments de la météorite de la Vaca Muerta (“La Vache Morte”), ce qui représente une masse totale de 3.400 kg.

Cette météorite appartient à la famille rare des ferro-pierreux. Il s’agit d’une météorite de la classe des mésosidérites, c’est-à-dire, qui contiennent principalement du fer et du nickel, mélangés à de petites quantités de minéraux. Ces nouvelles récoltes ont plus que triplé la masse totale des échantillons appartenant à cette variété et disponible à l’étude, une étude qui revêt une grande importance pour une meilleure compréhension de la formation du Système solaire.

Des myriades de corps célestes
Les astronomes de l’ESO Holger Pedersen (maintenant à l’Observatoire de l’Université de Copenhague) et Harri Lindgren du site d’observation de l’ESO à La Silla au Chili, ont mis à profit quelques moments de détente pour donner un coup de main à Claudio Canut de Bon, directeur du Musée minéralogique Ignacio Domeyko de l’Université de La Serena (Chili). Cette collaboration fut excellente et fort appréciée.

“Nous avons l’habitude d’observer des objets très éloignés dans l’espace, expliqua Holger Pedersen, mais c’était vraiment excitant, une fois n’est pas coutume, de faire de l’observation astronomique les yeux au sol”.

En plus des grandes planètes et de leurs satellites, il y a des myriades de corps solides beaucoup plus petits qui se déplacent sur des orbites elliptiques autour du Soleil. Il en est de toutes les formes et de toutes les dimensions, depuis les petites planètes d’un diamètre de quelques centaines de mètres jusqu’aux poussières microscopiques, en passant par les m¢téorites.

De temps en temps, un petit grain de poussière provenant de l’espace interplanétaire entre dans l’atmosphère terrestre à très grande vitesse, souvent de l’ordre de 10 km/sec ou plus. Il s’embrase immédiatement à la suite de sa friction avec l’air et se désintègre en émettant un rayonnement lumineux. C’est ce qu’on appelle un météore ou “étoile filante”.

Les hauteurs auxquelles apparraissent puis disparaissent les météores dépendent notamment de leur masse et de leur vitesse à leur entrée dans l’atmosphère. Généralement, l’apparition se produit entre 100 et 110 km de hauteur et l’extinction entre 70 et 80 km.

Meteor Crater en Arizona
De tels phénomènes sont fréquents à certaines époques de l’année et parfois spectaculaires de par leur fréquence. Un bel exemple est celui des Perseides observables début du mois d’août.

Plus rarement, un objet plus important, de la grosseur d’un caillou ou plus, se fait capter selon les lois de la gravitation. Il est perçu comme un bolide lumineux pouvant être observé même en plein jour. Si sa masse est suffisante, l’objet s’effrite sans se volatiliser complètement dans l’atmosphère. Un certain nombre de débris arrivent jusqu’au sol avec des vitesses supersoniques et parfois avec une extrême violence, si leur masse reste importante, et creusent des cratères de dimensions parfois considérables.

La principale météorite connue, celle du Hoba, en Namibie, découverte en 1920, pèse 60 tonnes. Le plus grand cratère météoritique connu sur Terre est le Meteor Crater, en Arizona. Son diamètre dépasse 1.200 m et sa profondeur atteint quelque 180 m.

Il y a environ 3.500 ans, une grande météorite d’une masse de plusieurs tonnes et mesurant au moins un mètre de diamètre est tombée en plein milieu du désert Atacama, dans le nord du Chili. Durant son passage rapide à travers l’atmosphère terrestre, l’objet céleste se désintégra brutalement en une multitude de petits débris qui allèrent se loger dans le sable du désert sur une superficie d’une vingtaine de kilomètres carrés.

Grâce aux conditions particulières de sécheresse, ces débris sont restés dans un excellent état de conservation et, à cause du point d’impact très éloigné dans le désert, ont échappé aux observations jusqu’il y a peu.

Quelques morceaux (environ une tonne) ont bien été récoltés dans les années 1860, par des prospecteurs. La plus grande partie fut dispersée et perdue, le reste, environ 45 kg, ayant trouvé refuge dans des collections de minéraux.

Bien plus tard, on donna à cette météorite le nom de “Vaca Muerta” (la Vache Morte), d’après le nom du lit d’une rivière asséchée toute proche. Puis on oublia l’endroit même de son impact. Il fallut attendre 1985 pour que le site soit redécouvert par Edmundo Martinez, après une longue étude de vieux récits. Il découvrit même un fragment important. Son frère parla de cette découverte à Canut de Bon qui décida peu de temps après d’entreprendre une étude scientifique de toute la région avec ses amis, les astronomes de l’ESO.

Cette étude exigea des recherches laborieuses sur toute la région du site (environ 11 km de long sur 2 de large). L’un des plus gros fragments heurta le sol avec une telle violence qu’il creusa un cratère de quelque 10 mètres de diamètre et d’une profondeur de 2 mètres.

Au total, 77 fragments furent repérés à l’occasion de dix expéditions entre février 87 et janvier 91. 57 d’entre eux dont le poids va de quelques grammes à 309 kg, ont été retrouvés intacts. De telles pièces sont particulièrement précieuses pour l’étude des météorites. Tous les fragments sont aujourd’hui récupérés et, en partie conservés à l’Université de la Serena. Ils totalisent environ 3.400 kg.

Une existence violente
Les analyses en laboratoire de la météorite de la Vache Morte ont commencé et elles dévoilent lentement sa dramatique histoire.

Son âge a été daté par des méthodes radiochimiques et des études minéralogiques ont été réalisées sur sa composition et sa structure interne. L’époque de sa chute est située à 3.500 ans, au moyen du système de datation au carbone-14. Cette technique est basée sur le fait que, quant la météorite est encore dans l’espace, elle est continuellement bombardée par des rayons cosmiques, ce qui donne une teneur particulière en atomes de carbone-12 et carbone-14. Dès qu’elle pénètre dans l’atmosphère terrestre, elle se retrouve protégée de ces mêmes rayons cosmiques, ce qui a pour conséquence de diminuer la proportion des atomes de carbone-14, suite à leur désint¢gration spontanée. Une mesure précise de la composition du carbone doit indiquer le moment de la chute.

On admet communément aujourd’hui que les petites planètes, tout comme les comètes, sont constitués de matériaux datant du tout début de l’histoire du Système solaire.

La petite planète dont provient la météorite de la Vache Morte a environ 4,5 milliards d’années et, par conséquent, serait presque aussi âgée que le Système solaire lui-même.

Les débuts de l’existence de cette petite planète mineure furent manifestement très violents. Astre volcaniquement actif et partiellement fondu, se déplaçant à très grande vitesse à travers le Système solaire, cette petite planète est entrée en collision de manière fatale avec une autre dont le noyau devait être métallique.

Le mélange et la solidification des matériaux par refroidissement ont formé un amalgame cosmique de minéraux comportant de gros fragments soudés entre eux par une sorte de magma de poussières, l’ensemble constituant un mélange pour moitié métallique et pour moitié pierreux.

Bien plus tard, cette planète mineure éclata en un essaim de petits fragments. De temps à autres, l’un d’eux, sous l’interaction gravitationnelle, tombe sur la Terre. Tel fut le cas de la météorite de la Vache Morte.

Les 77 “vaches mortes” de l’Atacama, leur analyse terminée, devraient nous renseigner, de manière plus fine, sur les débuts, toujours énigmatiques, de notre Système solaire. Elles sont constituées de matière primitive, celle-là même qui, il y a 4,5 milliards d’années s’est progressivement amassée pour former notre Système solaire. Il s’agit là d’une aubaine pour les astrophysiciens qui espèrent y trouver de précieux témoignages sur la nébuleuse originelle et la naissance de notre étoile.

Comme quoi, les petits cailloux du ciel ne sont pas à négliger. Ils ont en leur sein une part de notre vérité.

Pierre Bastin

Mirages gravitationnels

La première lentille gravitationnelle “européenne”

La découverte récente d’un nouveau mirage gravitationnel dans la constellation australe de la Baleine est un des premiers résultats fondamentaux obtenus par une équipe de chercheurs de l’Institut d’Astrophysique de l’Université de Liège dans le cadre d’un programme d’étude systématique de quasars très lumineux. Ces astrophysiciens liégeois sont Jean Surdej, chercheur qualifié au Fonds National de la Recherche Scientifique, Institut d’Astrophysique, ULg (1 ); Jean-Pierre Swings, actuellement secrétaire général de l’Union Astronomique Internationale, Institut d’Astrophysique, ULg; et Pierre Magain, actuellement astrophysicien à l’ESO, Chili. L’équipe est complétée par un certain nombre de chercheurs européens. (2)
Nous avons été les premiers à annoncer cette découverte de la première lentille gravitationnelle “européenne” à l’occasion d’une page spéciale consacrée à l’lnstitut d’Astrophysique de Liège et à ses collaborations internationales : présence dans l’Union Astronomique Internationale, l’ESO ou le cœur de l’astrophysique européenne, le “Very Large Telescope”… (“La Wallonie” du 22 mai 1987).
L’annonce officielle de cette découverte a été faite par l’ESO (European Southern Observatory ou Observatoire Européen Austral), le 19 octobre dernier. Personne n’était mieux placé que Jean Surdej pour nous résumer la portée du travail réalisé et ses implications. Nous le remercions vivement pour cette précieuse collaboration. (3)
Pierre Bastin

Au moyen d’observations réalisées avec les télescopes de 2,2 m et de 3,6 m de l’Observatoire Europeen Austral, ces chercheurs ont pu montrer que non seulement l’image du quasar UM673 (4) était double mais aussi que l’action d’une galaxie lointaine située entre nous et le quasar était responsable de l’effet observé. L’étude observationnelle (en cours) d’un tel objet rarissime devrait permettre de déduire la valeur de paramètres cosmologiques importants tels que la taille et l’âge de notre Univers.

A l’instar des mirages atmosphériques

Les quasars sont bien connus pour être les astres les plus énergétiques et aussi les plus distants dans notre Univers. II semblerait toutefois que la brillance des quasars les plus lumineux soit en partie due à une cause extrinsèque. En effet, si une galaxie (ou autre objet massif) se trouve très près de la ligne de visée entre un quasar et un observateur terrestre, l’espace autour de la galaxie peut être déformé (de par sa présence) de façon telle que plusieurs rayons lumineux distincts nous parviennent du même objet. II en résulte que l’observateur verra du quasar une image multiple, déviée, déformée et aussi amplifiée. A l’instar des mirages atmosphériques, la déflexion de la lumière par le champ gravifique d’un objet massif peut donc conduire à la formation de mirages gravitationnels. (5) Etant donné que les positions et les intensités relatives des images illusoires du quasar sont fonctions de la quantité et de la distribution de matière dans la galaxie déflectrice (appelée à juste titre la “lentille gravitationnelle”) ainsi que de la configuration géométrique entre le quasar, le déflecteur et l’observateur, on comprend aisément (au moins intuitivement) que des observations précises d’un mirage cosmique peuvent conduire à une détermination originale de la masse d’une galaxie très éloignée et des distances absolues dans notre Univers.

Une découverte remarquable

Depuis la première découverte d’un mirage gravitationnel (Q0957 + 561 A et B) en 1979, rares ont été les autres cas identifiés. En fait, la plupart des candidats “mirage” proposés n’ont pas été confirmés par des études observationnelles ultérieures. La découverte annoncée par les astrophysiciens liégeois et européens est remarquable en ce sens que, pour la première fois, un mirage gravitationnel a été trouvé de façon non-accidentelle, c’est-à-dire en suivant une stratégie observationnelle bien définie. Observant dans des conditions d’agitation atmosphérique idéales, les chercheurs européens ont obtenu des images électroniques remarquables de quasars très lumineux au moyen des télescopes de 2,2 m et de 3,6 m à l’ESO (Andes chiliennes). Les données ont révélé que le quasar UM673 apparaît dans le ciel comme un objet double, avec une séparation angulaire de 2,2 secondes d’arc, et qu’une faible galaxie est superposée entre UM673 A et B. C’est cette galaxie qui agit sur la lumière du quasar comme une lentille gravitationnelle. Elle n’a pu être détectée qu’après avoir soustrait du cliché électronique les deux images quasi-stellaires de UM673.

La preuve définitive que les deux images sont celles d’un même et unique quasar a été établie après une comparaison detaillée des différents spectres du mirage. Une étude approfondie montre que les spectres de UM673 A et B sont identiques et que le décalage vers le rouge (6) du quasar UM673 vaut z = 2.72, correspondant à une vitesse de récession de l’ordre de 86 % de la vitesse de la lumière. A cause des distances énormes qui nous séparent de UM673, nous apercevons aujourd’hui ce quasar tel qu’il était il y a environ 13 milliards d’années. Il a aussi été possible de déterminer le décalage vers le rouge de la galaxie “lentille”. II vaut z = 0,49, indiquant que cet objet est bien situé en profondeur entre nous et le quasar. On a pu ensuite estimer que la masse de la galaxie déflectrice est de l’ordre de 240 millions de fois celle de notre Soieil.

Déterminer la quantité de matière cachée dans l’Univers
La découverte de mirages gravitationnels est importante pour au moins trois raisons différentes. L’étude de tels objets devrait permettre une estimation indispensable de la quantité de matière cachée (c’est-à-dire non visible) dans l’Univers. En effet, différentes études astrophysiques indiquent que l’Univers doit contenir dix fois plus de matière qu’il peut être observé directement (le “problème de la masse manquante”). Vu que la lumière des quasars très distants est déviée par l’entièreté de la masse d’un objet déflecteur, une comparaison simple entre la masse visible et celle déduite des observations directes d’une lentille gravitationnelle fournira une estimation de la quantité de matière invisible.

Une vérification indépendante de l’échelle des distances dans l’Univers est rendue possible grâce à l’observation de mirages gravitationnels. En effet, si la brillance d’un quasar varie, au cours du temps (7), la variation de l’éclat sera d’abord détectée dans l’image qui correspond au trajet des rayons lumineux le plus court entre nous et le quasar. Une mesure du décalage temporel des variations d’éclat entre les différentes images, couplée aux valeurs des paramètres physiques (masse, etc.) de la lentille, déterminera la taille absolue du système quasar-galaxie, et par surcroît, celle de notre Univers tout entier, fixant ainsi la valeur de la constannte de Hubble Ho qui représente le taux d’expansion de notre Univers. Pour le quasar UM673, le décalage temporel entre des variations d’éclat des deux images est évalué à quelques mois seulement. UM673 A et B sont actuellement sous surveillance constante à l’observatoire de La Silla.

D’autres candidats

Finalement, soulignons encore que UM673 apparaît être un des quasars les plus brillants parce que sa luminosité apparente a été amplifiée (= 10 fois) par effet de lentille. Dans leur reherche systématique de mirages gravitationnels, l’équipe de chercheurs a identifié d’autres candidats très prometteurs. Des observations spectroscopiques de ces objets exotiques seront réalisées vers la mi-novembre à l’ESO. Ces découvertes soulèvent tout naturellement la question fondamentale suivante : “Dans quelle mesure, la grande luminosité des quasars est-elle d’origine intrinsèque ?”. De plus, vu que la déflection des rayons lumineux dans le champ gravitique d’un objet très massif peut conduire la formation de mirages gravitationnels, on peut aussi se demander à quel point notre vue des confins de l’Univers n’est pas illusoire.

Des observations et une étude astrophysiques plus détaillées du mirage gravitationnel UM673 font l’objet de deux articles scientifiques. Le premier a éte publié le 22 octobre 1987 dans la revue britannique “Nature” et le second le sera prochainement dans la revue européenne “Astronomy and Astrophysics”.

Jean Surdej


(1) Nous lui devons déjà plusieurs collaborations, ainsi, concernant “L’objet le plus éloigné de notre Univers” (“La Wallonie” du 18 mars 1987), “L’explosion d’une supernova dans le Grand Nuage de Magellan” (“La Wallonie” du 17 avril 1987). Signalons déjà qu’il sera le prochain invité des conférences mensuelles organisées par la Societe Astronomique de Liège. C’est en effet le vendredi 11 décembre à 20 h, à Cointe, que Jean Surdej fera une communication publique sur cette découverte.
(2) Les autres astronomes européens sont Thierry Courvoisier (Space Telescope European Coordinating Facility, Garching, RFA), Heimut Kuhr (Institut Max Planck, Heidelberg, RFA), Sjur Refsdal, Ulf Borgeest et Rainer Kayser (Observatoire Astronomique de Hambourg, RFA) et Ken Kellermann (National Radio Astronomy Observatory, Virginie).
(3) Les intertitres sont de la rédaction.
(4) C’est-à-dire le 673ème quasar identifié lors du Survey Spectro-Photographique de l’Universite de Michigan.
(5) Au cours de l’éclipse totale du Soleil en 1919, des astronomes ont pu observer un déplacement apparent (d’environ 1,7 seconde d’arc) de la position des étoiles proches du limbe solaire. C’était la première preuve observationnelle confirmant que des rayons lumieux peuvent être déviés, non seulement dans des systèmes optiques, mais aussi dans des champs gravifiques. Cet effet avait été prédit par Einstein dans sa théorie de la Relativité générale.
(6) En astronomie, le décalage vers le rouge z (aussi connu sous le nom de “redshift”) mesure le déplacement relatif vers les grandes longueurs d’onde (c’est-à-dire le rouge) des raies spectrales d’une galaxie distante ou d’un rayon participant à l’expansion de l’Univers. Le décalage vers le rouge fournit une estimation de la vitesse de récession apparente de l’objet, qui est elle-même une fonction (via la loi de Hubble) de sa distance. La vitesse d’éloignement des galaxies entre elles est proportionnelle à leur distance.
(7) On pense que tous les quasars varient au cours du temps. L’amplitude ainsi que l’échelle de temps de ces variations peuvent toutefois différer entre objets.

Pour quatre astrophysiciens liégeois - Le “Trèfle à quatre feuilles”


A gauche : la partie centrale d’une image CCD du mirage gravitationnel quadruple H 1413+117
(le “Trèfle à quatre feuilles”) obtenue en lumière infrarouge le 8 mars 1988 au télescope de 2,20 m de l’ESO. Les quatre images du même objet sont clairement séparées. A droite : géométrie du système.
Les quatre images du quasar sont dénotées A, B, C, D par ordre de brillance décroissante.
Les distances entre ces différentes images sont indiquées en seconde d’arc. (© Document ESO)
L’Institut d’Astrophysique de l’Université de Liège est une nouvelle fois à l’honneur. Quatre de ses astrophysiciens viennent en effet de réaliser une première en découvrant un mirage gravitationnel quadruple. Il s’agit de Pierre Magain, astrophysicien travaillant à l’Observatoire de l’ESO au Chili tout comme Marc Remy, de Jean Surdej, chercheur qualifié au Fonds National de la Recherche Scientifique, et de Jean-Pierre Swings, actuellement Secrétaire général de l’Union astronomique internationale (UAI). Tous quatre font partie du Laboratoire d’Astrophysique extragalactique de ce même Institut.

Cette équipe est complétée par U. Borgeest, R. Kayser et S. Refsdal, de Hambourg et de H. Kühr, de Heidelberg. Trois de ces quatre scientifiques liégeois, c’est-à-dire Jean Surdej, Jean-Pierre Swings et Pierre Magain, avaient déjà fait parler d’eux, il y a quelques mois, en découvrant le premier mirage gravitationnel “européen”. (Voir “La Wallonie” du 13 novembre 1987).

Dans un communiqué daté du 28 juillet 1988 et publié ci-dessous, l’ESO (Observatoire européen austral) dont le siège est à Garching près de Münich et dont le site d’observation est à La Silla au Chili, vient officialiser cette seconde découverte, réalisée à La Silla le 8 mars dernier. Il met en exergue toute l’importance de cette “première”
de notre Alma Mater.
Pierre Bastin

Grâce à des observations réalisées à l’Observatoire Européen Austral (ESO, La Silla, Chili) dans des conditions atmosphériques proches de la perfection, des astronomes européens on pu montrer que l’image d’un quasar distant consiste en fait en pas moins de quatre composantes, ce qui a valu à cet objet extraordinaire le surnom de "Trèfle à quatre feuilles. Cette multiplication des images résulte du phénomène de mirage gravitationnel, prédit par la théorie de la Relativité générale d’Einstein, et est expliqué à la fin de communiqué.

Un mirage gravitationnel peu commun
Les quasars sont connus commes les objets les plus lumineux dans l’Univers, et donc pouvant être observés sur les plus grandes distances. Cependant, des observations récentes conduites par un groupe d’astronomes européens à l’Observatoire de La Silla au Chili indiquent que bon nombre de quasars très énergétiques nous apparaissent en fait plus lumineux qu’ils ne le sont en réalité, et ceci du fait d’une amplification par effet de mirage gravitationnel. Après avoir précédemment mis en évidence le fait que le quasar UM 673 (*) est dédoublé par effet de mirage, ils ont maintenant découvert que l’image d’un autre quasar très lumineux,
dénommé H 1413+117, consiste en réalité en quatre images très serrées, lui donnant l’aspect d’un trèfle à quatre feuilles, nom sous lequel il est désormais connu.

Les images de cet objet ont été obtenues sous des conditions atmosphériques excellentes au télescope de 2,20 m de La Silla, à l’aide d’un détecteur électronique (CCD) à haute résolution. Ces images montrent clairement le quasar H 1413+117 sous la forme d’un objet quadruple. Les quatre images, de brillance comparable, sont séparées par moins d’une seconde d’arc (voir la figure ci-jointe).

Des spectres individuels de deux de ces images ont pu être obtenus grâce au spectrographe d’objets faibles (EFOSC) attaché au télescope de 3,60 m de l’ESO. Ces spectres sont identiques, ce qui confirme que les différentes images correspondent bien à un seul et même quasar. Le décalage vers le rouge (**) de ces spectres est identique et vaut 2,55, correspondant à une vitesse de récession apparente égale à 85 % de la vitesse de la lumière. Du fait de la distance énorme qui nous sépare du quasar, nous le voyons tel qu’il était il y a quelque 13 milliards d’années. En outre, des raies d’absorption fines ont été détectées dans le spectre d’une des images. Ces raies sont probablement formées dans de la matière associée à une galaxie située entre le quasar et nous, et qui serait responsable du phénomène de mirage gravitationnel.

Une étude approfondie de ce mirage gravitationnel hors pair devrait permettre de mieux connaître la matière obscure contenue dans l’Univers, ainsi que de déterminer de manière totalement indépendante certains paramètres cosmologiques importants, comme l’âge de l’Univers.

Un compte-rendu détaillé de ces observations est paru dans un article scientifique publié le 28 juillet dans la revue britannique Nature.

Mirage gravitationnel et amplification
Les champs de gravitation agissent de manière analogue aux systèmes optiques de lentilles et miroirs.

Depuis l’éclipse de Soleil de 1919, quand des astronomes observèrent pour la première fois un déplacement apparent de la position des étoiles proches du limbe solaire, on sait que les rayons lumineux peuvent être déviés, non seulement par des éléments optiques (miroirs, lentilles…), mais aussi par des champs de gravitation. En fait, ce effet avait été prédit par Einstein dans le cadre de sa théorie de la Relativité générale.

Cette déviation des rayons lumineux est également observée lorsque la lumière émise par un quasar lointain passe à proximité d’un ou plusieurs objets massifs. De tels objets peuvent être, par exemple, des galaxies individuelles ou des amas de galaxies, et sont appelés lentilles gravitationnelles.

En fonction de la masse et de la configuration géométrique des objets composant la lentille gravitationnelle, les rayons lumineux peuvent non seulement être déviés selon plusieurs angles, donnant lieu à des images multiples (mirages gravitationnels) du quasar, mais, de plus, certaines de ces images peuvent apparaître plus brillantes que le quasar lui-même nous apparaîtrait en l’absence de la lentille gravitationnelle.

Cet effet d’amplification nous permet, en principe, d’observer des images de quasars très distants qui seraient, en l’absence d 'amplification, trop faibles pour être détectés à l’aide des télescope actuels. Les lentilles gravitationnelles nous permettent donc d’étudier des régions très éloignées de l’Univers.


(*) Voir communiqué de presse 14A/87 de I’ESO.
(**) En astronomie, le décalage vers le rouge dénote la fraction selon laquelle les raies sont décalées vers les grandes longueurs d’onde dans le spectre d’une galaxie ou d’un quasar s’éloignant de nous en vertu de l’expansion de l’Univers. Le décalage vers le rouge observé donne une mesure de la vitesse de récession apparente, qui est elle-même fonction de l’éloignemnent de l’objet étudié (loi de Hubble).